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PATRIE (PIÉTÉ ENVERS LA). OBÉISSANCE


mun de tous les peuples, par le Dieu qui est justice et amour. Il n’est conforme à sa volonté que s’il s’unit à la charité envers toutes les nations. Au reste, pour que cette piété civique soit légitime et sainte, il faut que, comme toutes les autres vertus, elle soit réglée par la prudence. Le sage patriote veut le bien, la paix, la prospérité, l’indépendance et l’honneur de son pays ; donc, il se tient en garde contre le fol esprit de conquête, contre les aventures irréfléchies, contre les entreprises injustes, contre tout ce qui expose un peuple aux pires calamités. Qu’un pays et ses chefs soient animés d’un amour intelligent et chrétien du pays, les nations étrangères ne peuvent que s’en réjouir ; leurs droits ne courront aucun péril et elles bénéficieront de la prospérité d’autrui, dans la mesure où elle rend la famille humaine tout entière plus riche et meilleure.

Le foyer, à son tour, n’a rien à redouter d’un pareil amour de la patrie. Les liens qui unissent les uns aux autres, de par la nature, les membres de la famille les rapprochent entre eux beaucoup plus intimement que la piété civique n’associe les fils d’un même pays ; c’est un fait d’évidence. Les deux groupements, d’ailleurs, ne font pas participer leurs membres à des avantages identiques et ne poursuivent pas la même fin. La famille met en jouissance de biens d’ordre naturel et domestique ; la patrie assure une commune possession de richesses nationales. Chacune des deux sociétés, sur son propre terrain et en vue de son but, a ses droits et sa liberté. Pour l’organisation, le développement et le bonheur du foyer, la famille commande à sa guise, sous l’empire de Dieu. Elle n’admet pas d’immixtion indiscrète ; et, pour les fins de la société domestique, l’État ne peut intervenir que si et autant que le bien commun l’exige, ou encore, afin de venir au secours des individus, des foyers incapables de se diriger, de se défendre et de se sauver eux-mêmes. Au contraire, pour accroître et défendre les trésors communs à tous les citoyens, à toutes les familles, l’État est autorisé à donner des ordres aux citoyens, il possède même, en cas de nécessité, le droit d’arracher un fils à ses parents et de l’envoyer à la mort ; mais c’est pour l’avantage des individus et des foyers, en même temps que pour celui de la collectivité nationale. Sum. theol., Il a -II æ, q. xxvi, a. 8. Saint Thomas n’hésite pas à le déclarer : « le bien commun est beaucoup plus divin que celui d’un individu ». Ibid., q. xxxi, a. 3, ad 2um. Aussi, le citoyen fait-il œuvre bonne, lorsque, en cas de besoin, il expose sa vie pour la défense de la nation, famille de toutes les familles, association de tous les particuliers ; il protège ainsi à la fois sa patrie, son foyer, sa personne, Sum. theol., IIMI®, q. xxvi, a. 4 corp., ad2um, ad 3 un > ; Quæstion.es disputâtes de caritate, q.un., a. 9, ad 15° m.

Certes, de la coexistence des devoirs familiaux et civiques peuvent surgir des cas de conscience difficiles, des conflits pénibles et même de terribles épreuves. Mais ces faits particuliers, provoqués souvent par la faute des hommes, ne sont ni assez nombreux ni assez graves pour qu’on puisse contester une loi générale fondée sur l’expérience. Non seulement pour la collectivité nationale, mais encore pour la famille et les individus, la prédilection et le dévouement du citoyen à l’égard de son pays constituent une source de richesse et de sécurité, d’honneur et de joie, de civilisation et de progrès. Nous aimons naturellement et par devoir père, mère, enfants, parents, amis, bienfaiteurs, voisins ; la plupart du temps, ils sont de notre pays et, ainsi, l’amour de la famille et celui de la patrie, loin de s’exclure, se compénètrent et se doublent.

Le mot de charité contient tout un programme : qui la possède véritablement connaît ou tout au moins devine, remplit ou essaie de remplir tout un devoir. Sans

cette affection, au contraire, l’acte extérieur n’est que l’accomplissement servile et routinier de corvées obligatoires ou traditionnelles. Par l’amour, l’acte le plus simple devient beau et noble, agréable et touchant, facile, prompt et joyeux, parfait, méritoire et saint. L’hommage de nos actes, de nos biens et de nos vies est alors l’attestation d’un attachement loyal, docile et fidèle, prêt à commander, s’il le fallait, le sacrifice du sang.

A cette immolation elle-même, comme au service le plus humble, ce qui donne son prix, c’est pour une large part le motif qui l’inspire et les sentiments qui l’accompagnent. Certes, la mort du champ de bataille est déjà grande, parce qu’elle est l’holocauste d’une vie entière, mais elle l’est surtout parce qu’elle est la plus éloquente protestation d’amour. Or, ce motif de charité, tout citoyen peut l’avoir chaque fois qu’il rend à son pays le service le plus humble et le plus banal. L’argent et le travail, aussi bien que le sang accordé par un citoyen à son pays, c’est un peu de lui-même, le don de soi, donc un acte d’amour. Aussi souvent que nous faisons quelque chose pour la patrie, nous déclarons par cet acte — alors même que nous ne soulignons pas cette pensée — que la paix, la tranquillité, la richesse, le bonheur, la réputation, la liberté de notre pays nous sont chers comme nos propres biens, sont pour nous des intérêts personnels et que nous les préférons même à ce que, pour eux, nous sacrifions, or, repos, ou vie, en un mot que nous faisons passer l’intérêt commun avant notre avantage particulier, tel est vraiment le signe auquel on reconnaît la charité.

Certes, le fidèle a le droit de recourir aux moyens honnêtes et légaux pour éviter qu’on l’accable de taxes injustes, excessives ou vexatoires. Si même le fardeau des charges publiques est accablant, il a le droit de le trouver tel. Pourtant, il est regrettable que la routine, les maximes courantes, la peur de paraître trop vertueux et une certaine mauvaise humeur dépouillent parfois l’acte d’amour civique de son charme et d’une partie de son mérite. Hilarem enim datorem diligit Deus. II Cor., ix, 7. C’est avec un sourire que, pour plaire à Dieu, un parfait chrétien se montre généreux et dévoué à l’égard de ses frères, qu’ils constituent la patrie ou qu’ils soient des personnes privées. Même si son esprit est porté à la critique, le jour où il faut payer une taxe ou faire une corvée, il se sent joyeux d’accorder à autrui un peu de son cœur, de l’offrir au pays et de montrer ainsi qu’il est son fils, en même temps que, dans la patrie, il aperçoit les membres du Christ à servir.

4° La piété envers la patrie nous impose l’obéissance à ses ordres légitimes. — A coup sûr, si les lois et les prescriptions d’une autorité humaine contredisent la volonté divine, on ne leur doit pas soumission et, quand le Très-Haut commande ce que la société civile ou domestique défend, c’est à lui qu’il faut obéir. Pourquoi, en effet, sommes-nous tenus d’honorer nos parents, notre patrie ? Parce qu’ils représentent l’Être suprême et qu’il se sert d’eux pour nous donner la vie et nous gouverner. Il n’en est assurément pas ainsi quand leurs prescriptions contredisent les siennes. Ils essaient alors, au contraire, le voulant ou non, mais en fait, de nous détourner de lui, de notre fin et peuvent nuire à notre vie spirituelle.

D’ailleurs, comme toutes les vertus, la piété envers la patrie cesse d’être une vertu et devient même un vice, si elle est exercée d’une manière qui n’est pas conforme à la justice et à la prudence. Or, il en est ainsi lorsqu’elle nous fait mettre au-dessus des volontés du Créateur la volonté d’une créature. Déjà la raison proclame qu’à l’intelligence humaine, il faut préférer la sagesse divine, qu’on doit craindre la toute-