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PASSIONS. ÉNUMÉRATION


violemment que d’autres au point de vue corporel, en face de la provocation émotive. L’hérédité passionnelle, qui est surtout une hérédité physiologique, s’explique aussi p ; r le fait que le corps a une très grande part dans la passion. Et c’est le complexus organique qui se transmet par hérédité.

II. La diversité des passions.

La passion est un acte de l’appétit sensitif engagé dans un émoi organique. Ce n’est là qu’un résumé abstrait, une notion générale, qui convient à toute passion. Or, il y a diverses passions qui s’encadrent dans les deux groupes génériques du concupiscible et de l’irascible. A l’intérieur de chacun de ces groupes, un certain nombre de passions se posent en séries ordonnées et en séries contraires qui donnent en tout onze passions.

L’appétit concupiscible et l’appétit irascible.


C’est par comparaison avec une double exigence de l’appétit naturel que saint Thomas justifie la distinction, dans l’appétit sensible, de deux facultés appétitives : le concupiscible et l’irascible. Tout être se conserve et se défend ; il profite de son milieu et évince ce qui lui est contraire. De même, l’animal convoite et tend à s’approprier ce qui lui est utile et délectable ; puis il repousse ce qui lui est nuisible et hostile. Le concupiscible représente la première tendance, et l’irascible, la seconde. De veritate, q. xxv, a. 2. Le concupiscible comprend à la fois les tendances qui se portent vers les délectations sensibles et les tendances qui se rétractent en face du douloureux et du nuisible. Dans les deux cas, il y a réceptivité : on subit ce qui est donné ; on s’abandonne à la cupidité du plaisir ou l’on succombe à la souffrance. L’irascible, au contraire, nous dresse dans un effort d’action violente, d’attaque ou de résistance à l’endroit des difficultés ou des obstacles qui rendent particulièrement arides nos actions et nos œuvres. Ia-IIæ, q. xxiii, a. 1.

Les onze passions. — Si l’on se souvient que la passion est ce « mouvement de l’âme » en attirance d’un bien ou en répulsion d’un mal présenté par la connaissance, il sera facile, en analysant les différents aspects que ce mal ou ce bien peuvent présenter, de déduire les diverses attitudes d’âme qu’ils pourront susciter et auxquelles correspondront autant de passions distinctes.

Voici un bien qui s’offre à moi et me sollicite : tout aussitôt je me complais en son amabilité et mon âme s’éprend d’amour pour lui. — Si, au lieu d’un bien, c’est un mal qui surgit inopinément, mon âme s’agite et sent naître la haine. — Mais voici que le bien, après avoir attiré mon amoureuse complaisance, se présente comme accessible, comme vraiment susceptible d’être conquis par moi, dès lors mon âme s’épanouit en désir, tend vers lui et l’appelle. — Si le mal, après avoir éveillé ma haine, me presse de sa menace, je le repousse et mon âme se rétracte en un mouvement d’aversion.

— Si le bien qui m’attirait est devenu ma conquête, mon âme laisse éclater sa joie et se repose en sa possession. — Si le mal devient inévitable et m’opprime, c’est, pour moi, l’accablement de la tristesse. — L’amour et son opposé la haine, le désir et son opposé l’aversion, la joie et son opposé la tristesse, forment un premier groupe de passions que les psychologues traditionnels nomment f>assions du concupiscible.

Mais supposons que ce bien qui me captive, au lieu de se présenter comme une proie facile, s’offre comme très difficile à conquérir : après tout, choses et personnes peuvent résister à ma poursuite. En face de cet obstacle, le mouvement de l’âme change pour ainsi dire d’attitude. Cette complaisance d’amour vers un bien qui tarde à se donner se complique de la question préalable : ce bien, puis-je espérer l’obtenir ou dois-je en désespérer ? — Et s’il est permis de l’espérer et parce que je le désire vraiment, je trouverai sans doute l’élan

d’audace nécessaire pour vaincre les obstacles qui me séparent de lui. Si, au contraire, ces obstacles s’accumulent et m’interdisent l’objet de ma convoitise, j’éprouve aussitôt la crainte ou la peur qu’il ne me soit ravi. - — Si, enfin, ces difficultés sont insurmontables, si je suis dépossédé d’un bien que je tenais déjà, ou irrémédiablement déçu dans la possession que j’escomptais, dans ce mécompte et cette infortune, ma colère éclate contre les ravisseurs. — L’espoir et son contraire le désespoir, l’audace et son contraire la peur, la colère qui n’a pas de contraire, forment un second groupe de passions que les psychologues traditionnels nomment passions de l’irascible.

Ainsi donc, onze passions composent le jeu complet de l’affectivité humaine. Toute émotion prend forcément place dans l’un ou l’autre de ces cadres que la nature a fixés : nuances de joie ou de tristesse, d’attrait ou de répulsion, de crainte passagère ou d’espoir fugitif qui modulent notre vie consciente et sans trêve colorent toutes nos actions quotidiennes ; ou encore explosions de violentes passions : emour tyrannique, joie délirante, accès de mauvaise humeur, emportement de colère, terreur soudaine, panique folle, assaut de fougueuse audace, abattement mélancolique ou crise de désespoir. Ia-IIæ, q. xxiii, a. 4.

Rapports des passions entre elles.

Pour définir

chacune des passions nous avons dû la considérer un instant isolément et l’opposer à ses voisines ; mais il nous faut maintenant restaurer dans l’unité de la vie réelle ce que l’analyse a ainsi morcelé.

Les passions ne vivent pas en nous à l’état sporadique, chacune se trouvant séparée des autres sans rapport de continuité ou d’influence. Dans le courant de notre conscience, nos passions s’entremêlent et se suscitent l’une l’autre : nos joies s’ombrent souvent de tristesse ; nos amours entraînent aisément avec elles la jalousie soupçonneuse ; l’aversion peut succéder à l’attrait le plus puissant ; on peut désespérer après avoir espéré, et l’audace la plus fièrepeutse changer en timidité craintive. Il est, d’ailleurs, bien naturel que nos passions se conjuguent ainsi et s’entrelacent, car, sans parler des conflits d’attraits différents auxquels nous sommes en butte, le même objet, par la multiplicité de ses aspects et la complexité des circonstances capricieuses qui l’environnent, peut tour à tour motiver ces formes mobiles et ondoyantes de la passion.

Cependant, cet ordre d’appel et d’influence entre les diverses passions n’est point facultatif. Quelques-unes vont habituellement par groupes, et des séries entières se déploient le plus souvent au service d’une passion prépondérante. Comment, par exemple, concevoir la joie dans la possession assurée d’un bien, sans qu’auparavant le désir et l’amour n’en aient postulé la conquête ? Comment comprendre la tristesse sans la haine du mal qui nous oppresse ou de celui qui en est le pourvoyeur ?. N’est-ce pas à propos de nos affections et de nos joies que surgissent nos craintes d’être privés de leur douceur, et nos colères contre celui qui tente de nous ravir ce que nous aimons ?

Nos espoirs comme nos audaces n’ont-ils pas leur motif dans le maintien de ce qui fait notre bonheur ? Parmi les passions, une surtout : l’amour, a ce rôle d’inspiratrice et d’excitatrice de toutes les autres. C’est par l’amour que débute tout mouvement passionnel, par lui qu’il se prolonge et par lui qu’il se termine. Nous recherchons le bonheur ; c’est là le rythme normal de notre vie, la pulsation intérieure qui perpétuellement nous anime. Mais, comment sommes-nous mis en haleine, pour ainsi parler, des divers biens qui doivent nous rendre heureux et que le courant de la vie amène à notre portée, sinon par la complaisance que nous prenons en leur amabilité entrevue, bref, par