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PASCAL, APOLOGÉTIQUE, SON INFLUENCE


nécessaire ? Il ne va pas directement à la raison ; directement il est donné à la volonté. Par là, il met la raison « ployable en tous sens », fr. 274, dans les conditions voulues de son exercice normal. La raison dépend en effet de la volonté, c’est-à-dire des tendances de l’âme. Or, depuis la faute originelle, la volonté est détournée de Dieu et entraînée par l’amourpropre. Le secours divin rétablit les conditions normales et permet ainsi à la raison d’atteindre pratiquement, réellement, de la seule connaissance qui vaille, parce qu’elle est amour, Dieu « dont elle est capable » ; cf. fr. 557 et les deux premiers Écrits sur la grâce.

D’autre part, « d’après certains critiques (P. Longhaye, Hist. de la litt. franc, au xviie siècle, t. ii, p. 103, 114 ; Kreiten, Biaise Pascal, dans Stimmen aus Maria-Laach, t. xlix ; Lavigerie, Exposé des erreurs doctrinales du jansénisme, Paris, 18(50, p. 50-G7) et parmi les laïques, Souriau et même L. Brunschvicg », dit V. Giraud, Pascal, p. 155, « l’apologétique de Pascal, étant entachée de jansénisme, est hétérodoxe dans son fond et, partant, dépourvue de valeur, ou peu s’en faut. » Pascal, en effet, comme tout Port-Royal, pose une nature humaine appelée dès l’origine à la fin surnaturelle et incapable par elle-même de cette fin ; le péché originel prend ainsi une gravité plus profonde et les dons surnaturels apparaissent, non sans doute comme dus, mais comme un besoin de la nature humaine. Il est même parlé de ces besoins pour aboutir à Dieu. En somme, il a toute la théologie de Port-Royal. Cela empêche-t-il qu’il soit utilisé ?

Les faits répondent. Si Pascal, le Pascal des Pensées, étant donnée l’école à laquelle il appartenait, ne s’est pas toujours tenu dans les limites de la saine doctrine, telle surtout qu’elle s’est fixée après lui, il est facile, semb ! e-t-il, de le rétablir et de l’interpréler dans le sens chrétien — d’aucuns même prétendent qu’il y est rentré de lui-même — et c’est au profit de la pensée chrétienne que certains apologistes orthodoxes se sont inspirés de lui et au profit de leur âme que des chrétiens l’ont étudié.

La fortune et l’influence de Pascal apologiste.

« Considéré du point de vue de l’histoire proprement

dite, Pascal apparaît comme un génie très riche, avide d’unité et d’excellence, dont toutes les puissances, sans s’affaiblir, se sont rangées sous la foi, sous l’amour de Dieu. » Boutroux, loc. cit., p. 201. Quelle fut, dès lors, son influence d’apologiste ?

Il s’était proposé comme but immédiat d’arrêter ce mouvement libertin qui tendait à ce que l’on se passât de religion et que l’on se fiât à la seule raison, en attendant qu’il devînt « le siècle philosophique », dont parlait Leibnitz à Arnauld, dès 1671 ; cf. Giraud, loc. cit., p. 220. Bossuet, Bourdaloue, Malebranche, Fénelon, La Bruyère travailleront dans le même sens, mais ils échoueront et Pascal avec eux.

Au milieu d’eux qui représentent, avec des nuances propres à chacun, la même théologie et la même philosophie, il a sa philosophie propre, son apologétique à lui. Or, dit à ce propos Boutroux, loc. cit., p. 195, il ne semble pas que la relation précise établie par Pascal entre le christianisme et la nature humaine ait été pleinement comprise et appréciée par son siècle, dominé, malgré qu’il en eût, par l’esprit dualiste du cartésianisme. En effet, si l’on en croit Sainte-Beuve, loc. cit., p. 390, « l’admiration qu’excitèrent les Pensées fut prompte et unanime » ; néanmoins « on a cru remarquer après coup qu’elles n’avaient pas expressément pour elles quelques-uns de ces suffrages imposants qui sont devenus une religion en France ». Ni Bossuet, ni Fénelon ne le citent et, si Nicole, au t. n de ses Essais de morale publie des discours de Pascal sur la Condition des grands, et fait l’éloge des Pensées, au t. viii, il traite Pascal de « ramasseur de coquilles »

et dans son apologétique il n’adopte ni la méthode, ni la doctrine pascaliennes. — Bossuet et Fénelon, évêques et hommes de cour, ne pouvaient guère citer un portroyaliste. Mais ils firent mieux ; ils s’inspirèrent de lui. On a signalé plus d’une fois les passages des Sermons où Bossuet semble s’être inspiré des Pensées et le fragment 701 peut bien lui avoir inspiré l’idée du Discours sur l’histoire universelle. Quant à Fénelon, si différent de Pascal, cf. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. v, art. Pascal, p. 415-421, on a relevé des passages du Traité de l’existence de Dieu où revivent des façons de dire pascaliennes ; cf. Chérel, Fe’ne/on, lecteur de Pascal, dans Revue d’histoire littéraire, 1908, p. 696-700.

Mais, où se manifeste mieux l’importance prise par Pascal, c’est dans ce fait que le xviiie siècle, de Bayle à Condorcet, lui a voué une particulière hostilité : les Pensées, à leur apparition, avaient été combattues. Dès 1671, l’abbé de Villars, loc. cit., leur reprochait de livrer sans défense la religion au doute et à la négation en remplaçant ses preuves traditionnelles par d’invraisemblables considérations sur l’homme dans la nature et sur son impuissance morale en dehors de Jésus-Christ ou par des arguments comme le pari. Cf. Bremond, Pascal, l’abbé de Villars et la réfutation des Pensées, dans le Correspondant, 10 septembre 1921. p. 904-913. Mais cette réfutation était restée sans effet. Cf. Sainte-Beuve, loc. cit., p. 395, n. 1. Pour la même raison, un jésuite « un peu piqué », dit Sainte-Beuve. ibid., et n. 2, le rangera dans son livre des Athées dévoilés, publié après sa mort dans ses Opéra varia. 1734. Mais le P. Hardouin, dont les vues théologiques étaient sujettes à caution, ne compta guère.

Bayle commence l’attaque. Son article sur Pascal, dans son Dictionnaire, est bâti sur le modèle de plusieurs : éloges de Pascal rapidement exposés et critiques, celle de l’abbé de "Villars par exemple, longuement développées. Faut-il faire dater de ce même moment les Réflexions sur l’argument de M. Pascal et de M. Locke concernant la possibilité d’une autre vie à venir, par M. de Fonlenelle, Œuvres de Fontenelle, éd. de 1818, t. ii, p. 617 sq., que publie Condorcet dans son édition des Pensées. Voir col. 2184. V. Giraud se demande si ces Réflexions ne seraient pas de Voltaire. Loc. cit., p. 221, n. 1.

Voltaire est, en effet, le grand adversaire de Pascal au xviiie siècle. « Il va droit à Pascal, dit Sainte-Beuve, loc. cit., p. 398, comme à celui qui représente le mieux le christianisme. » Sa carrière philosophique, et cela est significatif, fait également remarquer V. Giraud, loc. cit., p. 222, s’encadre entre deux séries de Remarques sur Pascal. Centre Pascal, Voltaire s’y prend de deux manières : il fait des Pensées le rêve d’un malade, d’un halluciné, d’un fou et il conteste à la fois le but que se propose Pascal : démontrer que la foi se justifie et que le croyant a ses raisons de croire, et il s’efforce de démolir ces raisons. C’est à cette dernière tâche qu’il consacre ses efforts. Cf. Mauriac, Voltaire contre Pascal, Paris, 1929.

Dans sa Traduction d’une lettre de milord Bolingbroke à milord Cornsbury, Œuvres, t. xxvi, p. 302, il accuse Pascal d’incompétence parce qu’ignorant, avant de l’accuser de folie : « Pascal était assez éloquent et était surtout un bon plaisant… Sa mauvaise santé le rendit bientôt incapable de faire des études suivies. Il était extrêmement ignorant sur l’histoire des premiers siècles de l’Église ainsi que sur presque toute autre histoire. Il n’avait jamais lu l’Ancien Testament tout entier. Si donc le livre qu’il méditait eût été composé avec de pareils matériaux, il n’eût été qu’un édifice monstrueux bâti sur du sable mouvant. » D’ailleurs, Pascal, s’il eût vécu « eût corrigé beaucoup de ses Pensées ».

Dans ses LX V remarques sur les Pensées de M. Pas-