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PASCAL. APOLOGÉTIQUE, QUESTIONS QU’ELLE POSE


l’agnosticisme, l’impuissance de l’homme à acquérir de légitimes certitudes religieuses : nous adhérons aux vérités de la foi, uniquement, ou par un coup de volonté, ou par un effet de la grâce. Cf. Fidéisme, t. vi, col. 175 sq. Les critiques donc, qui ont imaginé un Pascal tragique, cherchant la foi, sa raison s’y opposant et lui se l’imposant de force, les Pensées, le Pari, étant les manifestations de cet effort, ceux aussi qui voient en lui un sceptique, tous ceux-là l’ont accusé par le fait de fidéisme. Or, Pascal, on l’a vii, col. 2116, ne fut jamais une âme tourmentée par un irréalisable désir de croire, ni un sceptique. Il n’y a pas davantage à parler du fidéisme des Pensées.

Le fait même d’avoir entrepris une Apologie, prouve que Pascal juge la religion démontrable. Ne disons pas qu’il a entendu y établir simplement, comme Montaigne, dans son apologie de Raymond Sebond, ou comme La Mothe le Vayer avec sa « sceptique chrétienne », l’impuissance de la raison pour mieux jeter l’homme dans les bras de la foi : il juge vraiment la religion démontrable. Ne disons pas davantage que l’effort de démonstration, de persuasion, qu’est l’Apologie est « une heureuse inconséquence » d’un Pascal « suivant les impulsions de son humeur, plutôt que les déduction de sa logique « (Stapfer, loc. cit., p. 322), car il n’est point exact » qu’en bonne logique janséniste il ne fallait pas démontrer du tout les vérités de la religion dans le système qui exagère au dernier point la passivité de l’homme et l’action de la grâce. » Ibid. Cf. col. 2120, et Droz, loc. cit., p 307 : « Ceux qui ont imaginé un Pascal sceptique…. sont forcés de le déclarer inconséquent et de quelle inconséquence ! pour ne pas le représenter ridicule, et de quel ridicule ! »

Le péché originel n’a nullement tué notre raison ; elle demeure puissance active, capable d’un savoir certain et d’un progrès indéfini, en géométrie par exemple, en astronomie et même en physique, où cependant, prise entre les deux infinis, elle ne peut savoir le tout de rien. Et, si « l’on rend différents devoirs aux différents mérites : devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force », nous avons « devoir de créance à la science. » Fr. 332. « Bête brute, qui « veut renoncer à la raison ». Fr. 413. Pascal a cru à la science. S’il dit en avoir été « dégoûté », fr. 144, si dans sa Lettre à Fermât, du 10 août 1660, t.x, p. 4, il semble détaché même de la géométrie qu’il déclare « le plus haut exercice de l’esprit », mais « rien qu’un métier, bonne pour faire l’essai mais non pas l’emploi de notre force », il ne se place qu’au point de vue de l’utilité religieuse la plus personnelle et la plus étroite. Il croit à la certitude qu’apportent l’idée claire et la démonstration, là où l’amour-propre n’intervient pas. Pascal n’a pas vu non plus d’opposition entre la raison et la foi. Cf. fr. 267. La raison est même un des trois moyens de croire, moyen insuffisant, réduit à lui-même, fr. 245, non nécessaire, fr. 287, mais qui peut servir d’instrument au moyen nécessaire et suffisant, l’inspiration. Fr. 248. Car en pareille matière et en toutes semblables, la sûreté de notre raison dépend de nos dispositions morales et le péché originel ayant perverti nos dispositions naturelles, la grâce est nécessaire pour réparer le mal. Une fois le mal réparé, notre raison, nullement déchue de son rôle, se démontre les vérités religieuses naturellement. Le fidéisme des Pensées n’est donc que ce que l’on a appelé, le fidéisme janséniste.

Que l’on n’objecte donc pas des textes où Pascal semble condamner la raison à ne sortir jamais d’incertitude et où Vinet voyait de l’agnosticisme. D’autre part, Pascal n’entend, par le mot raison, que notre faculté de raisonnement, telle qu’elle s’exerce, par exemple, dans les spéculations métaphysiques, ou dans

  • es conceptions physiques de Descartes. Elle n’épuise

pas tous nos moyens de connaître. Cf. Archambault, Le procès de l’intelligence, Paris, 1922, p. Il : « L’intelligence, faculté de la définition et de la démonstration, ne saurait être considérée comme l’organe unique, encore moins comme l’équivalent total de la pensée. » Nous avons d’autres moyens de connaître avec certitude : entre eux et la raison, il n’y a pas à opter comme entre des modes incompatibles ! elle et eux sont solidaires. Cf. fr. 1. Différence entre l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse. Mais, malgré ses prétentions, parmi ces moyens, la raison n’occupe qu’un rang inférieur. Au-dessus d’elle il y a les sens qui nous donnent les faits, « en qui la parole de Dieu est infaillible », 18e Provinciale, t. vii, p. 51, et qui sont ainsi l’expression d’une plus haute raison. Incompréhensible que Dieu soit, à la raison abstraite, c’est possible, mais qu’importe, s’il est affirmé dans les faits ? Il y a aussi le cœur qui saisit, dans la complexité des faits, leur valeur et qui fournit à la raison, les principes d’où elle part et qu’elle serait bien incapable de démontrer, fr. 282 ; sur ce point, la géométrie est sur le même pied que les vérités religieuses. Pascal n’est donc pas plus sceptique en religion qu’en géométrie. Cf. Rauh, loc. cit., p. 336. Il n’y a donc à parler ni de son pyrrhonisme, ni de son agnosticisme, ni par conséquent de son fidéisme.

2. Le positivisme chrétien de Pascal.

Rauh a signalé « le positivisme chrétien » de Pascal dont il trouve l’exposé surtout dans l’Esprit géométrique, où se lit « la théorie de la science chrétienne ». Itev. de mélaph., 1923, p. 310. « La philosophie de Pascal, dit-il, est un milieu entre rien et tout. Et ce milieu échappe à l’intelligence abstraite, car il n’est pas mathématique et ne peut être saisi dans la vie, que par l’esprit de finesse, dans la morale que par le cœur », c’est-à-dire, par les puissances de sentiment qui correspondent à la nature même des choses. Loc. cit., p. 310 et 334. « Le géomètre accepte à son tour comme des faits de raison, les vérités immédiatement évidentes et indémontrables qui lui servent de point de départ », p. 335, et que lui fait sentir le cœur. Les vérités religieuses, comme le péché originel, sont de même nature et saisies de même façon par le cœur éclairé par l’inspiration. Ibid., p. 337. Pascal semble donc dans l’Apologie « avoir voulu rendre sensible la nature de la foi » et la certitude, « à l’aide d’une analogie mathématique ». P. 336.

3. Le pessimisme de Pascal.

La première partie de l’Apologie est consacrée à décrire « la misère de l’homme sans Dieu », fr. 60, misère de l’homme en face de l’univers, de la vérité, du bonheur, de la justice, dans sa nature, dans sa vie sociale. Même note dans le pari où sont données, comme tendant vers le néant, les joies de ce monde à mesure qu’on les connaît mieux. S’apprêtant à commenter le fr. 693 : < En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, en regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, j’entre en effroi. Et j’admire comment on n’entre point en désespoir d’une si misérable vie », où Pascal a ramassé toute sa pensée sur l’homme et la vie, Voltaire annonce qu’il prendra « le parti de l’humanité contre ce misanthrope sublime ». Loc. cit., Introduction, p. 185, cf. Remarque vii, p. 192 et 193, Enfin, à propos du pari, Havet et d’autres ont accusé Pascal de pessimisme.

Mais le pessimisme de Pascal n’est nullement celui de Schopenhauer, pour qui le monde est essentiellement mauvais, cf. Le monde comme volonté, t. i, § 5759, ou celui de Vigny d’après qui d’aveugles fatalités conduisent le monde. Cf. Les destinées et en particulier, Le mont des Oliviers. Le pessimisme de Pascal est celui de toute une lignée de penseurs chrétiens et l’on pourrait dire simplement du christianisme. « Il ne faut pas croire, dit Schopenhauer, loc. cit., que le christia-