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PASCAL. PHILOSOPHIE, METHODES DE CONNAISSANCE


p. 123. « Cette idée générale de la beauté est gravée dans le fond de nos âmes avec des caractères ineffaçables. » Ibid. Le cœur enfin inspire à l’esprit de finesse ses jugements de valeur et fait leur certitude.

En résumé, dans tous les domaines, « notre raisonnement se réduit à céder au sentiment ». Fr. 274. Le cœur, organe de la foi religieuse et du sens pratique, est aussi le premier moteur de la pensée scientifique. Il va au delà des dernières démarches de la raison et, dans les premiers principes, la raison le suppose, et cela, c’est toujours quelque donnée impliquant l’infini. « Le cœur est la faculté de l’infini. » Laporte, loc. cit., p. 277-278. Pascal retrouve le mot bien connu de saint Augustin : Irrequielum est… Notre cœur, » ce gouffre infini, ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu lui-même. » Fr. 434. Dieu seul peut satisfaire son instinct de vérité, de justice, de bonheur.

Que vaut la croyance fondée sur le cœur ? Elle donne une certitude absolue, mais à celui-là seulement qui a cette croyance : il ne saurait la justifier par une démonstration, ni la communiquer. Cette croyance est néanmoins légitime, parce qu’elle est un sentiment instinctif, un mouvement de la nature qui ne se trompe pas, puisqu’elle est l’œuvre d’un Dieu bon.

On peut objecter que « la fantaisie est semblable et contraire au sentiment, de sorte qu’on ne peut distinguer entre ces deux contraires ». Fr. 274 ; cf. fr. 5. Mais la fantaisie est variable, et les croyances fondées sur le cœur, tous les hommes les partagent ; ils ont « une idée pareille » des principes en question et y adhèrent « avec la même assurance et la même certitude ». De l’esprit géométrique, t. îx, p. 249.

Les pyrrhoniens ne se tiennent pas pour battus. Ne rêvons-nous pas, disent-ils ? Fr. 434. Mais « nous savons que nous ne rêvons pas », fr. 282, et les rêves sont incohérents : « ce qu’on voit en veillant » a « de la continuité ». Fr. 386. — Us insistent : Qu’est-ce que la voix de la nature ? Nous ignorons notre origine ; venons-nous d’un être bon ? méchant ? à l’aventure ? « à quoi les dogmatistes sont encore à répondre depuis que le monde dure ». Fr. 434 ; cf. Entretien avec M. de Saci, t. iv. Mais ils ont beau faire. « La nature les confond », fr. 434, et « nous avons une idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme. » Fr. 395. Euxmêmes, s’ils n’acceptent pas la vérité logique des principes, pratiquement ils sont obligés de s’y soumettre. « L’homme doutera-t-il de tout ? On n’en peut venir là et je mets en fait qu’il n’y a jamais eu de pyrrhonien parfait. » Fr. 434. Enfin, le chrétien éclairé par la foi se sent créé par un Dieu bon, ibid., et en Jésus-Christ connaît toute doctrine. Fr. 545.

Si « notre raisonnement se réduit à céder au sentiment » et, par conséquent, à l’inspiration ou à la grâce quand elle anime un cœur, on s’explique comment le chrétien, en face d’un cas de conscience, ne saurait agir d’après une règle morale fixée par le raisonnement abstrait d’autrui, mais bien d’après l’impulsion particulière de l’Esprit de Dieu ; cf. La morale des Provinciales, col. 210 1, et comment aussi, dans l’ordre de la foi, en face des mêmes preuves, diffèrent les réactions des âmes.

c) La coutume. — Nos jugements dépendent de nos habitudes comme de nos inclinations. La coutume n’est pas, il est vrai, instrument de connaissance, mais organe de créance, puisque l’ « un des trois moyens de croire ». Fr. 245, cf. fr. 252. La source de toute croyance étant, d’après Pascal, non pas précisément l’évidence, mais une certaine tendance de la nature et o la coutume étant une seconde nature », fr. 92, il s’ensuit que l’habitude de certaines connaissances vraies ou fausses crée en nous la croyance automatique à ces connaissances. « Qui s’accoutume à la foi ne

peut plus ne pas craindre l’enfer. Qui doute donc que notre âme étant accoutumée à voir nombre, espace, mouvement croie cela et rien que cela. » Fr. 89, cf. fr. 97. 98, 536. Par la coutume, elles-mêmes, < les propositions mathématiques deviennent sentiments ». Fr. 95. « L’idée de Pascal, conclut J. Laporte. loc. cit., p. 280, n. 1, serait donc qu’il y a dans l’âme un principe d’activité irréfléchie comparable à celui qui se manifeste dans le cerps, un automatisme psychologique. »

La croyance fondée sur la coutume exclut le doute tout autant que la croyance fondée sur le cœur ou la nature ; en réalité, elle vaut ce que vaut la croyance qui lui a servi de point de départ. Mais telle, elle crée une difficulté. Comment distinguer la croyance née de la coutume de la croyance née de la nature ? Depuis la chute, « la vraie nature étant perdue, tout devient, pour l’homme, sa nature », fr. 426 ; et s’il y a des cas où la nature est plus forte que la coutume, fr. 97, « il en est où la nature cède à la coutume ». Fr. 92, cf. fr. 93 et 94.

Les méthodes de la connaissance.

1. L’ordre de

l’esprit et la démonstration. — Seul est démontré légitime l’assentiment donné en vertu de l’évidence saisie directement ou après démonstration ; cf. Lettre au P. Noël, t. ii, p. 90. Y a-t-il un art « de démontrer les vérités déjà trouvées et de les éclaircir de telle sorte que la preuve en soit invincible ? » De l’esprit géométrique. Premier fragment, t. ix, p. 241. La mathématique « inutile en sa profondeur », car aux yeux du croyant elle porte sur des matières de trop médiocre importance, fr. 61 « enseigne parfaitement cette méthode, ibid., aussi parfaitement du moins qu’il nous est possible « car ce qui passe la géométrie nous surpasse ». Ibid., p. 242. L’art idéal serait « de tout définir », car alors on pourrait « bannir toutes sortes de difficultés et d’équivoques », cf. Quatrième Provinciale, t. iv, p. 250, et « de tout prouver », De l’esprit géométrique, t. ix, p. 245. « Cette méthode serait belle, mais elle est absolument impossible : » les mots clairs finiraient par manquer. Ibid., p. 246. La géométrie a ce double avantage, de n’employer que des termes parfaitement intelligibles, ou parce qu’elle les a définis, ou parce qu’ils désignent « des choses claires et constantes par la lumière naturelle » et, pour cela, « entendues de tous les hommes », ibid., p. 246-247, ainsi « ces trois choses qu’elle considère particulièrement », ibid., p. 247, nombre, espace, mouvement, et de ne prouver que les propositions « qui ne sont pas évidentes », ibid., mais de définir toutes celles-là.

2. L’ordre du cœur (ou du sentiment). L’art de persuader. — « Il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme, l’entendement et la volonté. La plus ordinaire, quoique contre la nature, est celle de la volonté », autrement dit, de l’inclination, car tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non par la preuve, mais par l’agrément. Ibid. Deuxième fragment. De l’art de persuader, t. xi, p. 271. Il ne s’agit pas des vérités de la foi, « qui entrent du cœur dans l’esprit et non pas de l’esprit dans le cœur », et que « Dieu seul peut mettre dans le cœur », ibid., mais bien « des vérités à notre portée ». Or, toute vérité de cette sorte n’est pas acceptée pour avoir été démontrée et d’aucunes sont acceptées qui n’ont pas été démontrées. C’est que, depuis le péché originel, la raison est tombée sous la dépendance du sentiment.

En conséquence, les propositions « qui découlent nécessairement des principes communs et des vérités avouées », celles « qui ont une union étroite avec les objets de notre satisfaction » sont « infailliblement reçues », les premières parce que le sentiment n’a rien à leur opposer, les secondes parce qu’il porte à les