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PASCAL. LES PENSÉES, IIe PARTIE


pas de sens du tout ». Fr. 684, cꝟ. 691. Il faut donc trouver ce sens où tout s’accorde. Dans le Coran, il y a des passages clairs et d’autres obscurs ; mais les clairs étant « ridicules », on ne saurait chercher « un sens mystérieux aux obscurs ». Fr. 598. « On ne peut pas dire cela de l’Écriture et des prophètes : ils avaient assurément trop bon sens. Il faut donc en chercher un qui accorde toutes les contrariétés. » Fr. 684. Ce sens n’est pas, évidemment, le charnel, celui des Juifs, puisqu’il laisse subsister toutes les contrariétés, mais le spirituel qui concerne Jésus-Christ, « en qui toutes les contradictions sont accordées ». Ibid. Et Pascal le prouve par de multiples exemples. En somme, « l’unique objet de l’Écriture étant la charité, tout ce qui ne va pas à la charité est figure… car, puisqu’il n’y a qu’un but, tout ce qui n’y va point en mots propres est figuré. » Fr. 670. « Chez les Juifs, la vérité n’était ainsi que figurée ; dans le ciel, elle est découverte. Dans l’Église elle est couverte et reconnue par le rapport à la figure. » Fr. 673. Sur ce terrain donc comme sur tous, la vérité religieuse se présente avec un mélange d’obscurité et de clarté. « Le Testament est ainsi fait pour aveugler les uns et éclairer les autres. » Fr. 675. Son vrai sens demeure caché aux charnels, tels les Juifs, cf. fr. 662, qui ne pensent qu’à satisfaire la concupiscence ; elle se découvre à ceux qui cherchent Dieu de toute leur âme. Cf. fr. 675.

c) Cette concordance se manifeste surtout dans les prophéties et leur réalisation en Jésus-Christ. — « Pour prouver tout et un coup les deux Testaments, il ne faut que voir si les prophéties de l’un se sont accomplies dans l’autre. » Fr. 642. Ainsi « la plus grande des preuves de Jésus-Christ sont les prophéties ». Fr. 706. Vraiment « l’événement qui les a remplies est un miracle ». Ibid. Et, Pascal le fait remarquer : Si toutes les prophéties avaient été l’œuvre d’un seul homme et « que Jésus-Christ fût venu conformément à ces prophéties, ce serait une force divine. Mais il y a bien plus ici ; c’est une suite d’hommes durant quatre mille ans qui, constamment et sans variation, viennent l’un ensuite de l’autre, prédire le même avènement. C’est un peuple tout entier qui l’annonce et qui subsiste durant quatre mille années pour rendre en corps témoignage des assurances qu’ils en ont… : ceci est autrement considérable. » Fr. 710. Aussi est-ce la preuve « à quoi Dieu a le plus pourvu », car le miracle de leur réalisation est « un miracle subsistant depuis la naissance de l’Église jusqu’à la fin ; il a suscité des prophètes durant seize cents ans, et, pendant quatre cents ans après, il a dispersé toutes ces prophéties avec tous les Juifs qui les portaient dans tous les lieux du monde. Voilà quelle a été la préparation à la naissance de Jésus-Christ » et à la diffusion universelle de l’Évangile. Fr. 706.

Comme tout l’Ancien Testament, elles peuvent s’entendre au sens littéral, ainsi qu’ont fait les Juifs en escomptant « un Messie charnel », ainsi que font encore les mauvais chrétiens selon lesquels « Jésus-Christ est venu nous dispenser d’aimer Dieu ». Fr. 607 ; cf. 10 ? Provinciale. Mais les prophètes ont-ils entendu « par les biens temporels d’autres biens ? » Toute autre solution serait : 1° « indigne de Dieu » ; 2° contraire aux dires mêmes des prophètes : « Leurs discours expriment très clairement la promesse des biens temporels » ; ils disent néanmoins que leurs discours sont obscurs et que leur sens ne sera pas entendu. Donc « ils entendent autre chose » ; cꝟ. 678 : « Quand on surprend une lettre importante où l’on trouve un sens clair et où il est dit néanmoins que le sens en est voilé, en sorte que l’on verra cette lettre sans la voir et qu’on l’entendra sans l’entendre, que doit-on penser sinon que c’est un chiffre à double sens ? » 3° Si on les prend en bloc au

sens littéral, on aboutit ici et là à des « contradictions manifestes et grossières quelquefois », même on rencontre de ces contradictions « dans un même chapitre ». Fr. 659.

Au sens spirituel les prophéties, prises dans leur ensemble, se réalisent en Jésus-Christ avec une admirable unité. Elles annoncent, pour un moment donné, précis, non réparti sur une longue suite de siècles, un ordre de choses nouveau qu’elles attribuent à un Messie. Fr. 708, 724, 729. Or, à l’époque fixée, « en la quatrième monarchie, avant la destruction du second temple », fr. 724, se réalise, dans la génération qui a vu l’ancien ordre de choses, le nouveau tel qu’il lut prédit : « Les païens adorent Dieu et mènent une vie angélique ; les filles consacrent à Dieu leur virginité ; la foule des païens adore un Dieu unique. » Ibid. Et cette transformation visible « après Jésus-Christ » se rattache à lui comme à sa cause : « Il est venu enfin Jésus-Christ dire : Me voici, et voici le temps. Ce que les prophètes ont dit devoir advenir…, mes apôtres le vont faire ». Fr. 770. Et, en elïet, « tous les peuples étaient dans la concupiscence ; toute la terre fut ardente de charité. D’où vient cette force ? C’est que le Messie est arrivé ? » Fr. 772. « Si je n’avais ouï parler en aucune sorte du Messie, néanmoins, après les prédictions si admirables de l’ordre du monde que je vois accomplies, je vois que cela est divin. Et si je savais que ces mêmes livres prédisent un Messie, je m’assurerais qu’il serait venu. Et voyant qu’ils mettent son temps avant la destruction du deuxième temple, je dirais qu’il serait venu. » Fr. 734. Et le Messie, c’est Jésus-Christ : « Il fallait que toutes ces marques arrivassent en même temps, et tout cela est arrivé sans difficulté ; et qu’alors il arrivât le Messie, et Jésus-Christ est arrivé alors qui s’est dit le Messie et tout cela est encore sans difficulté. » Fr. 738. Donc, « Preuve. Prophéties avec l’accomplissement : ce qui a précédé et ce qui a suivi Jésus-Christ. » Fr. 705.

Prises dans le détail les prophéties rendent le même témoignage à Jésus-Christ : dans ses œuvres, cf. fr. 714, où Pascal énumère les prophéties, mais ne prend guère le temps de mettre en face la réalisation,

— dans sa mort : « Les Juifs en le tuant pour ne le point recevoir comme Messie lui ont donné la dernière marque de Messie. » Fr. 761. Pascal insiste sur la prédiction du moment. Celle-là est claire : l’obscurité des prophéties porte « sur la manière du Messie », non sur le temps. « Le temps a été prédit clairement et la manière en figures. » Fr. 758 : « Le temps prédit par l’état du peuple juif, par l’état du peuple païen, par le nombre des années. » Fr. 708 ; cꝟ. 724. Et il cite au complet les prophéties de Daniel, en particulier celle des soixante-dix semaines. Fr. 722. Le P. Lagrange, Pascal et les prophéties messianiques, dans Revue biblique, 1906, p. 533 sq., au nom de la critique moderne, déclare « douteuse et même improbable » l’interprétation pascalienne de ces prophéties. « La critique moderne, dit-il même, répugne à regarder la fixation précise du temps comme un élément de la prophétie divine. En fait, une détermination exacte ne se trouve pas dans l’Ancien Testament par rapport au Messie. » Évidemment, Pascal — car Richard Simon et Jean Leclerc n’ont encore rien publié — ignore les exigences de la critique et s’en tient à l’interprétation traditionnelle. Mais, comme il a écrit : « Les septante semaines de Daniel sont équivoques pour le terme du commencement et pour le terme de la fin. Mais toute cette différence ne va qu’à deux cents ans, » fr. 723, l’on a pu dire : « Pascal ne tenait pas tant que cela à la réalisation mathématique des semaines de Daniel, il ne prenait pas l’avènement du quatrième empire ou la suppression de la royauté juive absolument au sens littéral. Il y voyait surtout marqué un novus ordo rerum.