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PASCAL. LES PROVINCIALES, ANALYSE
« impétratoire. Mais les nouveaux thomistes — dominicains

ou jacobins, disciples de Diego Alvarez, et à qui Pascal ne pardonne pas d’avoir pris parti contre Arnauld — soutiennent sur tous les points susdits les mêmes théories que M. Arnauld. Or les molinistes, qui tiennent pour hérétique M. Arnauld, tiennent ces thomistes pour orthodoxes. Pourquoi cette différence ? C’est que les thomistes emploient le mot pouvoir prochain et M. Arnauld pas ! Si donc la Sorbonne condamne M. Arnauld, c’est qu’il n’use pas du mot prochain.

Le 27 janvier, la condamnation d’Arnauld sur la question de droit était certaine : soixante de ses partisans abandonnaient la partie et Arnauld avait signifié à ses juges, par un acte notarié, que les irrégularités commises rendraient nulle à ses yeux leur sentence à venir. Mais la 7 re Provinciale avait eu un tel succès que Pascal écrivit la deuxième.

La deuxième (n. lxxi, ibid., introd., p. 151-155 ; texte, p. 156-175 ; append., p. 176-177), datée du 29 janvier, parue le 5 février, a pour titre dans l’édition de 1659, De la grâce suffisante. C’est, en effet, avec le pouvoir prochain, l’enjeu du débat. Même argumentation que pour le pouvoir prochain. Sur la grâce suffisante jansénistes et nouveaux thomistes pensent de même, c’est-à-dire contrairement aux molinistes. Mais les thomistes emploient le vocabulaire des molinistes : ils sont orthodoxes ; les jansénistes ne l’emploient pas : ils sont hérétiques et condamnés. Que l’on jugel Pascal termine par un magnifique éloge de la grâce efficace, où apparaît déjà la question morale. Cette grâce, dit-il, demande des cœurs purs et dégagés et elle-même les purifie et les dégage des intérêts du monde incompatibles avec l’Évangile. Loc. cit., p. 174. — Le 31 janvier, la faculté de théologie vote la censure contre Arnauld, d’où :

La troisième (n. lxxii, ibid., introd., p. 181-205 ; texte, p. 2CHN223), datée du 9 février, parue le 12, a ce sujet, d’après l’édition de 1659 : « Injustice, absurdité et nullité de la censure contre M. Arnauld. » Elle est précédée d’une soi-disant Réponse du provincial aux deux premières lettres de son ami, p. 206-208, où sont insérés les billets admiratifs d’un académicien (Gomberville ? Chapelain ?)etd’une dame (MlledeScudéry ?) ; cf. Sainte-Beuve, loc. cit., p. 66, n. 1, p. 68, n. 2 ; Flottes, Nouvel éclaircissement d’un fait concernant 1rs Provinciales, in-8°, Montpellier, 1858.

M. Arnauld, dit la 3e Provinciale, a été condamné. Mais c’est « sur trois lignes, tirées des propres paroles du plus grand docteur de l’Église grecque et latine ». Ce qui est hérétique, ce ne sont pas ses sentiments toujours conformes à la tradition, mais sa personne. On l’a condamné parce qu’on le voulait : à défaut de raisons, on a trouvé des moines.

2. La 4 « Provinciale, transition entre les dogmatiques et les morales. — On peut croire la lutte terminée, mais les mesures hostiles continuent : Arnauld a été rayé du nombre des docteurs, le 15 février, Rome sollicitée de le condamner, la censure de Sorbonne criée dans les rues ; puis Port-Royal est menacé. Enfin il a paru une réponse assez violente aux trois Provinciales : Lettre écrite à un abbé par un docteur sur le sujet des trois lettres écrites à un provincial par un de ses amis, 118 p. in-4°. Pascal continue donc.

Visiblement la 4e Provinciale (n. lxxiii, ibid., introd., p. 227-248 ; texte, p. 249-270), est une transition. Pascal abandonne la Sorbonne auprès de qui Arnauld continue ses plaidoyers, cf. Œuvres, t. xx, et se tourne vers les jésuites, ces molinistes, ennemis de Port-Royal. Il commence : « Il n’est rien de tel que les jésuites », et il met en scène ce jésuite de comédie par lequel il fera exposer désormais les doctrines qu’il combattra. D’autre part, si le sujet traité : « De la grâce

actuelle toujours présente et des péchés d’omission » (1659), reste dogmatique, il est aussi d’ordre moral. « Nous voulons, dit le jésuite interrogé, que Dieu donne une grâce actuelle — inspiration par laquelle il nous fait connaître sa volonté et par laquelle il nous excite à la vouloir accomplir — à tous les hommes à chaque tentation », autrement, « quelque péché que l’on commît, il ne saurait être imputé… Dieu n’a jamais laissé pécher un homme sans lui donner auparavant la vue du mal qu’il va faire et le désir ou d’éviter le péché ou au moins d’implorer son assistance pour le pouvoir éviter. » On ne peut opposer aucun texte de l’Écriture. Or, répond Pascal, ce n’est pas une question de foi ou de raisonnement, mais d’expérience. « Les philosophes qui vantaient si hautement la puissance de la nature en connaissaient-ils les infirmités et le médecin ? » Et les épicuriens, les idolâtres ou les athées, « comment s’imaginer qu’ils aient dans toutes leurs tentations, c’est-à-dire une infinité de fois dans leur vie, le désir de prier le véritable Dieu qu’ils ignorent, de leur donner les véritables vertus qu’ils ne connaissent pas ? » Et nous-mêmes ? que nous puissions pécher sans scrupules, sans avoir demandé l’aide de Dieu, « nous le voyons, nous le savons, nous le sentons ». Rien ne vaut contre de tels faits.

A quelles conséquences impies, d’ailleurs, aboutissent et cette théorie que Vignorance du droit excuse du péché, — « pour pécher, dit le P. Bauny, Somme. p. 900, et se rendre coupable devant Dieu, il faut savoir que la chose qu’on veut faire ne vaut rien », — et cette autre, plus extraordinaire encore, que le péché philosophique — Pascal ne le nomme pas — n’est pas une violation de la loi divine : « Celui qui ignore Dieu… dit le P. Annat, ne fait aucun péché », ni en omettant, ni en commettant. « Il est impossible qu’on pèche, disent les nouveaux casuistes, quand on ne connaît pas la justice » (au sens religieux). En vérité le P. Bauny est bien « celui qui efface les péchés du monde » et tous les casuistes comme lui. Qu’une telle morale ressemble peu à la doctrine d’un saint Augustin, pour qui Necesse est ut peccet a quo ignoratur justifia, et même à celle d’un Aristote !

3. Les Provinciales morales : première partie. De la ô Q à la 10e. — a) Sont-elles une diversion ? « Les Provinciales ne devaient être, dans la pensée de leur auteur, qu’une apologie de Port-Royal, accusé d’hérésie ; elles sont devenues un réquisitoire et un pamphlet contre les jésuites. » Gazier, loc. cit., p. 105.

Digression, a-t-on dit. Port-Royal avait besoin de gagner la partie. Les mesures de rigueur avaient continué. Les docteurs Sainte-Beuve (26 février) et les autres (24 mars), qui n’avaient pas souscrit la censure contre Arnauld, avaient été exclus de la faculté de théologie ; le 19 mars, sur un ordre du roi, Arnauld d’Andilly et les enfants avaient quitté Port-Royal. Conseillé par Méré et par un carme, le P. Hilarion, théologien écouté à Rome, et qui n’aimait pas les jésuites, Pascal, après avoir lu Escobar, aurait « compris que le meilleur moyen n’était plus de défendre Carthage dans Carthage, mais de vaincre les Romains dans Rome, je veux dire les jésuites, au cœur de leur morale ». Sainte-Beuve, loc. cit., p. 8. « Le conseil était bon : les questions de la grâce auraient vite fatigué le public ; elles étaient moins familières à Pascal et convenaient moins à son génie. » Id., ibid., p. 97-108 et, sur ce terrain, Port-Royal, d’une austérité si marquée, a toute sa force, tandis que les jésuites ont déjà été atteints parle discrédit du laxisme ; cf. Laxisme, t. ix, col. 37-80. En réalité, Pascal ne sort pas du champ de bataille. Deux conceptions morales et théologiques s’affrontent dans Port-Royal et dans les jésuites : le jansénisme était une réaction à l’égard de l’humanisme qui exalte la raison et la volonté de l’homme et qui fait de lui un