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PARESSE


liant à ce que le mot acedia ait pris très tôt une signification exclusivement ecclésiastique, à tel point que, dans le français médiéval, accide est considéré comme synonyme de paresse, en langage de clercs. Testament de Jehan de Meung, vers 1339.

Saint Thomas d’Aquin, qui a étudié l’acédie avec plus de rigueur que personne, la distingue nettement de la paresse, en lui donnant le sens très précis de tristitia de bono spiriluali, et souligne son effet, qui est d’enlever le goût de l’action. Nous inspirant surtout des considérations développées dans la Somme Ihéologique, nous parlerons ici de l’acédie comme d’un dégoût des choses de Dieu, qu’éprouvent parfois les fidèles et même des personnes engagées dans les voies de la perfection ; une lassitude qui les porte à négliger les exercices de piété ou de règle, ou même à abandonner toute activité dans l’ordre de la vie spirituelle, à cause de la difficulté de cette vie.

Le péché.

Saint Jean Damascène définit l’acédie « une sorte de tristesse déprimante ». Une tristesse

déprimante, dit saint Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, <(. xxxv, a. 1, est toujours mauvaise, soit en elle-même, soit dans ses effets. Mauvaise en elle-même, quand elle est causée par le mal qui résulte parfois d’un bien, elle est mauvaise par ses effets quand, causée par un mal véritable, elle abat au point de détourner de toute œuvre bonne. Ces deux malices peuvent se trouver dans l’acédie, qui est une tristesse relative au bien spirituel : mauvaise quand elle a pour objet un bien véritable, qui devrait réjouir, elle l’est aussi quand, ayant pour objet un vrai mal, elle envahit et paralyse l’âme tout entière ; c’est pourquoi saint Paul veut que le pénitent regrette ses fautes, mais n’admet pas qu’il soit < absorbé par une tristesse excessive ». II Cor., ii, 7.

En tant qu’elle est opposée au bien spirituel en général, c’est-à-dire à la vertu, l’acédie ne se distingue pas des autres vices : quiconque possède une vertu doit s’en réjouir comme d’un bien qui lui appartient ; s’en attrister, c’est pécher contre cette vertu. En tant qu’elle fuit le bien spirituel à cause de la fatigue qu’il occasionne ou des privations qu’il impose au corps, elle se confond avec la sensualité. Mais elle est un vice spécial quand elle s’oppose à la joie que doit procurer le bien spirituel en tant qu’il est un bien divin. Cette joie est un effet propre de la charité ; ne pas l’éprouver, s’attrister au contraire du bien divin, est une faute caractérisée, un péché contre la plus haute des vertus théologales, un manquement au devoir d’aimer Dieu par-dessus toutes choses. Trislari de bono divino, de quo caritas gaudet, pertinei ad spéciale vitium, qtlod acedia vocatur. Sum. theol., Il a -II ic, q. xxxv, a. 2.

On peut conclure de ce qui précède que l’acédie, tristitia de bono spirituali in quantum est bonum divinum, est un péché mortel secundum genus suum. Un péché mortel en son genre n’a cependant toute sa gravité que s’il est pleinement volontaire. Il arrive souvent que l’acédie s’ébauche dans la sensibilité seule, comme une manifestation des résistances de la chair contre l’esprit. Diverses causes tendent, en effet, à faire naître une impression de lassitude jusque dans les âmes les plus éprises de perfection. Évagre le Pontique remarquait déjà que l’acédie tourmente le moine d’ordinaire entre la quatrième et la huitième heure, c’est-à-dire de 10 heures à 2 heures, et il l’appelait pour cette raison le « démon de midi ». De oclo vitiosis cogitationibus, P. G., t. xi., col. 1272. Cassien parle de même de la sixième heure. De institulis monasteriorum, 1. X. c. i, et saint Jean Climaque, d’après lequel elle accompagne le solitaire pendant toute sa vie pour ne le quitter qu’au moment de la mort, situait ses assauts trois heures environ avant le repas. Scala paradisi,

gradus xiii, P. G., t. lxxxviii, col. 857. La fatigue corporelle, le sommeil, la faim, des tentations plus fréquentes ou plus violentes, une absence prolongée de consolations sensibles, un dépit résultant d’échecs réels ou apparents dans la lutte contre le mal ou de réprimandes plus ou moins méritées, la simple monotonie des exercices réguliers et le besoin de changement qui nous est naturel peuvent être à l’origine d’une crise d’acédie. Les dégoûts éprouvés sous l’une ou l’autre de ces influences ne sauraient évidemment être plus que des péchés véniels. L’acédie n’est péché mortel que si la raison, ainsi sollicitée, consent à fuir et à détester le bien divin, que si, par conséquent, la chair l’emporte tout à fait sur l’esprit, Sum. theol., II a -II æ, q. xxxv, a. 3.

Ajoutons pourtant que l’acédie, comme la paresse en général, est grave aussi par ses conséquences : non seulement elle fait tomber dans l’oisiveté et expose à tous les dangers que celle-ci entraîne, mais elle conduit au relâchement et à la tiédeur, prélude de la ruine spirituelle. (Voir Tiédeur.)

Le péché capital.

L’acédie n’est pas seulement

un péché, elle est un péché capital et, selon saint Jean Climaque, un des plus graves, car les autres énervent chacun une vertu, tandis que celui-ci dissipe le trésor de toutes les vertus, Scala paradisi, gradus xiii, P. G., t. lxxxviii, col.’860.

On sait ce que sont les péchés capitaux, et que diverses listes en ont été dressées. Voir Capital (Péché), h’acedia, id est anxielas sive tœdium cordis, figure à côté de la tristitia, dans la classification de Cassien, Collai., V, c. ii, P. L., t. xlix, col. 611, ainsi que dans celle d’Évagre le Pontique, De oclo vitiosis cogitationibus, P. G., t. xl, col. 1271, et dans celle de saint Jean Climaque, Scaia paradisi, gradus xiii, De tœdio seu acedia, P. G., t. lxxxviii, col. 857. Par contre, saint Grégoire le Grand ne la nomme pas, mais la fait figurer, sous le nom de torpor circa prsecepta, parmi les défauts qui résultent de la tristitia. Moralia, t. XXXI, c. xlv, P. L., t. lxxvi, col. 621.

Parmi les auteurs du Moyen Age, les uns font, comme Cassien, de l’acedia et de la tristitia, deux vices capitaux distincts ; les autres rattachent, comme saint Grégoire, le premier au second. Ainsi Cassien est suivi par Alcuin, Liber de virtutibus et viliis, c. xxvii sq., P. L., t. ci, col. 632 sq. ; tandis que saint Grégoire l’est par Pierre Lombard, qui parle d’acediam vel tristitiam. Il Sent., dist. XLII, 6, édit. de Quaracchi, t. i, p. 591, et par Théodulphe qui écrit : acedia sive tristitia, capitula xxxi, P. L., t. cv, col. 201. Isidore de Séville paraît avoir été assez hésitant : seule la tristitia figure dans la liste de huit péchés capitaux qu’il donne dans son Difjerentiarum liber II, n. 161, P. L., t. lxxxiii, col. 96 ; par contre, dans le livre De summo bono ou Sententiarum, il distingue de la tristitia, qui détourne du devoir pénible, l’acedia qui fait chercher le repos auquel on n’a pas droit, t. II, c. xxxvii, P. L., t. cit., col. 638.

Saint Thomas d’Aquin connaît la distinction introduite par Cassien, mais donne raison à saint Grégoire : convenientius Gregorius acediam tristitiam nominal, Sum. theol., IU-II®, q. xxxv, a. 4, ad 3um. Distinguant les péchés capitaux par les fins spéciales auxquelles ils correspondent, il ne fait pas figurer parmi eux la tristitia, dont à ses yeux Vacedia est une espèce, et il range celle-ci, à côté de l’envie et de la colère, au nombre des vices qui font fuir un bien réel à cause du mal apparent qui lui est accidentellement uni. Plus précisément encore, il fait de Vacedia et de Vinvidia deux vices < opposés à la joie de la charité » ; l’envie, parce qu’elle refuse de se réjouir du « bien du prochain », l’acédie, parce qu’elle refuse de se réjouir du « bien divin ». Sum, theol., fIa-IIæ, q. xxxv, argum.