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1990
PARALIPOMÈNES (LIVRES DES). VALEUR HISTORIQUE


sens, strict ou large, elles étaient historiques, a pu user d’une certaine liberté : quando scriptor demonstrari nequit, ajoute-t-il. velle narrare stricte historien, neque reprehendendus est si ejus narratio a veritale stricte historiea in quibusdam deflectere videatur. Commentarius in Paralipomenon, t. i, p. 317. Au sujet de l’énumération des préparatifs de David en vue de la construction du Temple, plutôt que de recourir à des solutions forcées qui ne sont qu’échappatoires ridicules, il fait observer qu’il vaut mieux reconnaître auctorem sacrum calamo scripsisse liberiore et admettre, qu’entre autres sources de son récit, il a utilisé des midraschim, quæ, quantum nos compertum habemus, yenus sunt quoddam narrationis liberioris. Op. cit., p. 323. Cf. Revue biblique, 1907, p. 303-306.

Dans le même sens, un autre critique catholique, P. Vetter, comparant le double récit de la découverte du livre de la Loi dans le livre des Rois et celui des Paralipomènes, affirmait la vérité du témoignage du Chroniqueur à condition de le bien entendre et de l’estimer à sa juste valeur, c’est-à-dire d’y voir l’expression de l’idée qu’on se faisait alors d’un événement survenu plusieurs siècles auparavant et du jugement dont il était l’objet, sans prétendre y retrouver un témoignage vraiment historique équivalent à celui du livre des Rois. Biblische Zeitschrijt. t. iv, 1907, p. 67. Des tendances exégétiques analogues apparaissaient déjà dans un article de Schatiz, Theolog. Quartalschri /t, 1895, p. 188, et dans l’ouvrage de Gigot, Spécial introduction to the Old Testament, t. i, 1903, p. 312-315. Dans leur appréciation et dans l’application de leurs principes de solution, il y a lieu de se rappeler les réponses de la Commission pontificale De re biblica, concernant les citations implicites contenues dans la sainte Écriture, 13 février 1905, et les récits qui n’ont que l’apparence de récits historiques, 23 juin 1905 ; réponses complétées et précisées dans les encycliques Pascendi Dominici gregis, de Pie X, 8 septembre 1907, et Spiritus Paraclitus, de Benoît XV, 15 septembre 1920.

Pour terminer cet aperçu de la critique catholique au sujet de l’interprétation des Paralipomènes, relevons encore deux jugements. Le premier est de la Revue biblique dans un compte rendu de l’ouvrage de Nagl, signalé plus haut : « Il n’est pas douteux, y est-il écrit, qu’Israël avait une loi, mais la question est de savoir si les Chroniques représentent de la même façon que les anciens livres la manière dont certaines parties de la loi étaient ou n’étaient pas exécutées dans les temps anciens. Le plus sûr, on peut même dire le plus critique, est certainement de rechercher toujours un fondement réel aux histoires des Chroniques ; mais, puisqu’on renonce à soutenir le texte actuel, qu’on reconnaît qu’il a été enjolivé, que le but poursuivi a relégué dans l’ombre certains faits, ne vaudrait-il pas mieux reconnaître ouvertement que ce but adonné à l’ensemble du livre une physionomie qui n’est pas précisément celle de l’histoire comme nous l’entendons ? » 1906, p. 337.

Le second est de l’auteur d’une récente histoire d’Israël, L. Desnoyers. Après avoir revendiqué la vérité de la tradition qui fait de David l’organisateur du culte dans le Temple, il observait que des ordonnances, portées en vue d’une mise en application qui n’était pas encore matériellement possible, gardaient rarement et en tous points leur forme première, à laquelle des adaptations et des remaniements successifs apportaient maintes modifications ; n’en fut-il pas de même, d’ailleurs, de certaines prescriptions rituelles de Moïse ? Qu’il y ait donc, écrivait-il, « dans la description des Chroniques une part d’idéalisation, soit du fait de David, qui se serait appliqué à tracer un plan aussi grandiose que possible, soit du fait du

Chroniqueur ou de ses sources qui, comme cela se fait couramment, auraient reporté au fondateur de la liturgie, non seulement ses propres institutions, mais encore celles qui en avaient été dérivées dans la suite, c’est ce qui n’est guère contestable. Le livre des Chroniques le suggère lui-même assez clairement. Au début de son exposé, en un chiffre rond qui se trahit comme purement théorique, il annonce 4 000 portiers et 4 000 musiciens. Mais un peu plus loin, il donne le chilîre exact des chanteurs et musiciens : il y en avait 288 ; et celui des membres des trois familles de portiers : ils étaient 96… La présence de quelques éléments soit théoriques, soit suspects d’anachronisme, n’est toutefois pas de nature à enlever toute valeur historique à l’ensemble des renseignements fournis par cet auteur… Dans l’antiquité plus que de nos jours, chaque peuple, chaque milieu, souvent chaque écrivain, avaient leur manière de comprendre et de composer l’histoire : leurs méthodes n’étaient pas les nôtres ; leur but différait du nôtre ; et les déprécier parce qu’ils furent de leur temps témoignerait d’une étroitesse d’esprit des plus préjudiciables à l’histoire. On est incomparablement plus sage à délimiter leur point de vue, à juger s’ils voulurent raconter ou édifier, glorifier leur héros, défendre leurs idées ou attaquer leurs adversaires, puis, tenant compte de leur dessein, à distinguer de son mieux les perspectives qu’ils ont confondues, les diversités d’époque qu’ils ont négligées et les faits réels qu’ils ont interprétés selon leurs tendances. C’est en agissant de la sorte à l’égard du Chroniqueur que l’on a le plus de chances d’atteindre la vérité historique et de ne pas céder à la tentation de dédaigner le bon grain parce que l’on découvre, mêlées à lui, quelques graines parasites. » Histoire du peuple hébreu des Juges à la Captivité, t. iii, Salomon, Paris, 1930, p. 231-232.

Éléments de solution.

Pour compléteretpréciser

l’énoncé des preuves ordinairement invoquées en faveur de la véracité des Paralipomènes et rappelées plus haut, il suffira d’ajouter les quelques remarques suivantes. Il apparaît tout d’abord que le Chroniqueur était en mesure de décrire exactement la situation religieuse du temps des rois, d’après les sources écrites qu’il pouvait avoir à sa disposition. Il apparaît non moins clairement qu’en raison des relations écrites déjà existantes (livres de Samuel et des Rois), il ne devait pas aller à rencontre de la tradition consignée dans cette littérature historique antérieure, sous peine de jeter le discrédit sur son œuvre. En fait, comment en a-t-il usé envers cette tradition et ses sources ? Pour répondre au but poursuivi, il a passé sous silence des faits qui ne concordaient pas avec ses conceptions ou n’auraient pas été en harmonie avec ses intentions ; inversement, il a ajouté des récits, des paroles que la tradition écrite, parvenue jusqu’à nous, ne connaît pas ; enfin, il a parfois modifié les données fournies par les livres de Samuel et des Rois. Dans quelle mesure l’exactitude historique de l’œuvre ainsi conçue et réalisée s’en trouve-t-elle atteinte ou modifiée ?

Que le Chroniqueur ait entrepris son œuvre dans un bul d’instruction et d’édification, c’est certain, nous l’avons vu. Que ce but ait influencé sa conception de l’histoire et le choix de ses matériaux, c’est non moins certain. S’ensuit-il que cette histoire en soit pour autant falsifiée ? On ne pourrait l’affirmer que si l’on pouvait prouver que, sur tel ou tel point particulier, ce que rapporte le Chroniqueur est en contradiction avec ce qui est connu par ailleurs d’une manière certaine, ou bien n’est qu’invention, pure imagination de sa part. Ni dans ce qu’il omet, ni dans ce qu’il ajoute, ni dans ce qui le différencie des livres canoniques antérieurs il n’encourt pareil reproche.