Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/378

Cette page n’a pas encore été corrigée

[889

PAPE. LA CENTRALISATION BENEFICIAIRE

IS’.lli

Restrictions législatives.

Le principe grégorien

<iue le droit canonique repose tout entier sur la volonté du pontife suprême, principe qui tient une si grande place dans la théorie de la dispense et qui devait trouver une éloquente illustration dans les rubriques des Décrétâtes de Grégoire IX (1234), où le pape seul fait figure de législateur, et où les décisions du concile œcuménique lui-même sont attribuées à son autorité, Innocentius III in concilio generali, ce principe, disons-nous, impliquait une autre conséquence, que les papes tirèrent dès le xiie siècle : à savoir le droit, pour eux, de légiférer sur l’étendue même du pouvoir des évêques et de le restreindre si le bien public le demandait. En 1139, le IIe concile du Latran, présidé par Innocent II, publie le fameux canon Si quis suadente diabolo, établissant la première réserve générale au Saint-Siège d’une excommunication latsesententiee : Corpus juris canonici, décret de Gratien, caus. XVII, q. iv, c. 29 ; dans l’éd. de Friedberg, col. S22. Un peu plus tard, Alexandre III retire aux évêques le droit de se prononcer sur le culte des saints : Corpus juris canonici, collection des décrétâtes de Grégoire IX, t. III, (it. xlv, De reliquiis et veneratione sanctorum, c. 1, ibid., col. 650 ; voir dans Baronius-Theiner, Annales ecclesiastici, an. 1181, n. 7, éd. de Bar-le-Duc, t. xix, 1869, p. 498, le scandale qui aurait motivé cette intervention. En 1215, le IVe concile du Latran, à l’instigation d’Innocent III, limite le pouvoir des évêques touchant les indulgences : certains prélats, dit le c. 62, n’hésitent pas à abuser de rémissions indiscrètes et superflues et ils énervent ainsi la satisfaction pénitentielle ; désormais, ils ne pourront accorder plus d’un an d’indulgences à l’occasion d’une consécration d’église, et plus de 40 jours à l’occasion de l’anniversaire. Ibid., I. V, tit. xxxviii, De pœnitentiis, c. 14, col. 888. Une lois admis le principe de la limitation des pouvoirs épiscopaux, et la pratique introduite, rien n’empêchera plus la papauté, quand elle le jugera opportun, de multiplier ces interventions.

3° L’Inquisition. — A la même époque, la création des inquisiteurs pontificaux transféra au Saint-Siège, dans le domaine des choses de la foi, une bonne part de l’autorité des évêques : en pratique, du moins, car, en droit, les deux juridictions pouvaient s’exercer parallèlement. A l’assemblée de Vérone, où se rencontrèrent Lucius III et Frédéric Barberousse, le pape promulgua solennellement, le 4 novembre 1184, sa fameuse bulle contre les patarins, cathares, pauvres de Lyon et autres mécréants, dont les progrès mette ient en péril non seulement la religion chrétienne, mais la société elle-même. Il y instituait une procédure nouvelle ; jusque-là, on n’avait poursuivi les hérétiques que sur dénonciation ; à l’avenir, ils seraient ret herchés (l’office. Hefele-Leclertq, Histoire des conciles, t. v b, p. 1119. Les évêques furent d’abord chargés, tout seuls, de les dépister. Mais quelques-uns se montrèrent indolents, d’autres se heurtèrent à de dures résistances de la part des hérétiques ou de leurs protecteurs. Les papes commencèrent par leur adjoindre des légats ; puis Grégoire IX confia la besogne de l’Inquisition à l’ordre nouveau de saint Dominique, auquel Innocent IV associa les franciscains. Labbe et Cossart, Sacrosancta concilia, t. xi, col. 335 ; Bullarium romanum, éd. de Turin, t. iii, p. 584. Investis d’amples pouvoirs pour enquêter et contraindre, ces religieux furent répartis un peu partout, et les territoires divisés en circonscriptions inquisitoriales. Voir art. Inquisition, t. vii, col. 2019. L’évêque, il est vrai, gerdait ses pouvoirs, Bonif. V 1 1 1, cap. Per hoc, De hærei., in V 1°, et ces délégués étrangers, venant pourchasser l’hérésie au nom du pape, lui rendaient à lui-même de précieux services : plus indépendants que lui des influences locales, pouvant agir plus librement que lui, ils le sou DICT. DE THÉOL. CATII.

lageaient d’une tâche lourde et ingrate et lui épargnaient des interventions parfois dangereuses ; ils n’en étaient pas moins des agents pontificaux dont la juridiction, la plupart du temps, supplantait la sienne.

VI. LA CENTRALISATION BfiNÉElCIALEDU XIVe SIÈ-CLE. — Si le souverain pontife a sur l’Église universelle la plénitude de la juridiction, ce que l’on ne méconnaissait plus guère depuis le triomphe des idées grégoriennes, il doit avoir aussi, comme conséquence nécessaire, le pouvoir de disposer de toutes les charges ecclésiastiques et de tous les biens affectés à un usage religieux. Il a en outre, par voie de conséquence, le droit de lever des tributs. Ces conclusions furent tirées à leur tour. En se mettant à nommer eux-mêmes " aux bénéfices de la chrétienté, les papes introduisirent dans l’histoire de la centralisation un élément nouveau, de considérable importance.

Au bas Moyen Age, toutes les fonctions qui touchaient au culte, à l’instruction, à la bienfaisance, étaient occupées par des clercs, et ceux-ci vivaient d’un bénéfice. Dans les premiers siècles, les communautés chrétiennes s’étaient formées d’abord dans les villes, et les gens d’Église participaient à un fonds commun, administré par l’évêque. C’était l’évêque qui assurait à ses collaborateurs la nourriture, le vêtement et le gîte. Quand la vie cultuelle déborda la civitas, et que des clercs exercèrent leur ministère au milieu des campagnards, l’évêque abandonna parfois à ces isolés, en précaire, de petites terres dont ils tiraient leurs moyens de subsistance. Ils en percevaient les fruits, sans avoir sur elles de droits bien établis. Mais quand s’organisèrent les paroisses rurales, aux ive et ve siècles, au curé devenu personnage autonome il fallut des ressources mieux assises. Elles lui vinrent soit d’un fragment des biens épiscopaux que l’évêque lui abandonna, soit, plus souvent, d’une dotation en biens fonds que lui constituèrent les fidèles. A côté des églises publiques, de pieux propriétaires ouvrirent des églises privées, des chapelles, et ils assurèrent par des fondations la subsistance des clercs qui devaient les desservir. Imbart de la Tour, Les paroisses rurales du IVe au XIe siècle, Paris, 1900 ; E. Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, 1. 1, Lille-Paris, 1910. Ces libéralités se multiplièrent dès le haut Moyen Age, et pour des fins variées. Mais toutes avaient un but commun : procurer le nécessaire à des gens d’Église qui s’acquitteraient d’une fonction voulue par le fondateur. Telle fut l’origine des bénéfices ecclésiastiques. Ils consistent essentiellement en une charge cléricale, dont le libre exercice est assuré par des biens-fonds. Au xme siècle, l’institution est généralisée depuis longtemps. A tout emploi correspond une fondation ; tout fonctionnaire d’Église est un bénéficier.

Les bénéfices se divisaient en deux catégories. Les uns, dits majeurs, étaient pourvus, au moins en droit, par élection : c’était le cas des abbayes et des évêchés, lesquels, bien que trouvant place dans la hiérarchie des fiefs, étaient avant tout, et par essence, des bénéfices ; aussi le I er concile du Latran, en 1123, avait-il restauré à leur égard le principe traditionnel de l’élection, si délaissé au xe et au xie siècle : can. 10, Mansi, Concil.. t. xxi, col. 283. La collation des bénéfices mineurs appartenait généralement aux « ordinaires », évêques ou abbés, dont le choix était plus ou moins conditionné par les héritiers des fondateurs. Jusqu’au milieu du xme siècle, les papes ne paraissent guère avoir conféré directement de bénéfices mineurs. Us interviennent dans les provisions, le plus souvent en faveur de clercs ordonnés sans titre suffisant, et par conséquent dénués de ressources : mais ils se bornent à recommander ces candidats à la bienveillance du collateur ordinaire. Il est vrai que, si leurs sollicitations n’aboutissent pas, il leur arrive de hausser le ton

T. — XI

60