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PAPE. LA RÉEnliUE GREGORIENNE


Les autres, de maniement plus facile, suivaient un plan méthodique, tel le Décret de Burchard de Worms ou certaines compilations répandues en Italie ; mais ils avaient l’inconvénient de faire trop de place à des fragments d’autorité douteuse ou de tendances contestables, comme les canons des pénitentiels irlandais, ou à des textes reflétant une discipline étrangère, purement locale ; en outre, les droits du Siège apostolique n’y paraissaient guère. Pour des raisons variées, toute cette littérature laissait donc beaucoup à désirer.

Une pléiade de travailleurs, stimulée par Grégoire VII, se mit à l’œuvre, guidée par ce principe fondamental que l’autorité du souverain pontife est la source même de la loi et qu’un texte n’a de valeur juridique que s’il a reçu du pape une approbation au moins tacite. Ces chercheurs fouillèrent les bibliothèques de Rome et de l’Italie, en quête de documents canoniques. Ils compulsèrent les manuscrits contenant des décrétâtes, des canons conciliaires, des fragments patristiques ; ils prirent contact avec les recueils oubliés du droit romain, poursuivirent leurs investigations dans les écrits des historiens. De nombreuses compilations fragmentaires sortirent de ces recherches et trouvèrent place dans des recueils nouveaux, dont quelques-uns nous sont parvenus : le Capitulare du cardinal Atton, la collection d’Anselme de Lucques, celle du cardinal Deusdedit. Tous ces ouvrages reflètent les mêmes préoccupations : rejeter dans l’oubli les textes apocryphes, éliminer ceux qui représentent une discipline simplement locale, en opposition avec l’esprit romain, et surtout mettre en évidence les témoignages authentiques relatifs aux droits du Saint-Siège : Si les efforts vers le premier de ces trois objectifs ne furent pas toujours heureux, et si maint passage du faux Isidore trouva place dans les recueils grégoriens, au moins les deux autres buts furent-ils atteints : les collections nouvelles mirent en pleine lumière les prérogatives du Siège apostolique, et renforcèrent les assises juridiques dont le pouvoir du pape sur toutes les Églises avait besoin : toutes les collections grégoriennes commencent par un titre De primatu.

L’esprit qui les animait. et la facilité qu’ils offraient. grâce à leur méthode de classement, de trouver les documents dont on avait besoin, valurent à ces recueils de droit canonique une fortune immédiate et considérable. Cependant ils n’éliminèrent pas de la circulation, tant s’en faut, tous les textes qu’ils entendaient supprimer. Habitués à citer ces textes et à les transcrire, les clercs les entremêlaient, dans leurs copies, avec le contenu des collections romaines. Bientôt il put sembler que dans la législation ecclésiastique la confusion augmentât, au lieu de diminuer. Mais c’est alors, précisément, que le remède apparut : et cela dès la fin du xie siècle. Yves de Chartres et Bernald de Constance introduisent dans le droit canonique des principes plus nets de critique et d’interprétation : et, eux aussi, les idées grégoriennes les inspirent. Un exemple : qu ind deux lois s’opposent, la loi générale, disent-ils, celle, par conséquent, qui émane du pouvoir suprême, l’emporte sur la décision d’une autorité locale. De la sorte, même dans les recueils canoniques où figurent des documents défavorables à la centralisation, leur etïet se trouve neutralisé par l’examen critique, et la volonté papale apparaît de plus en plus comme le fondement du droit. Ces conceptions prévalurent vite. Au milieu du xii c siècle, Gratien les fit présider à sa Concordia discordantium canonum. Depuis lors, elles n’ont cessé de régir le droit canonique. P. Fournier, Un tournant de l’histoire du droit, dans Nouvelle revue historique de droit /nuirais et étranger, t. xli, 1917, p. 129180 ; Les collections canoniques romaines de l’époque de Grégoire VII, dans Mémoires de l’Institut national île

France, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. xli, 1920, p. 271-395.

On le voit, le pontificat d’Hildebrand marque dans le progrès de la centralisation une étape des plus importantes. Avec Grégoire VII, le pape a exercé un contrôle étroit, permanent, méthodique, efficace, surtoutes les Églises locales ; et il a justifié théoriquement ce contrôle par des textes juridiques. Pratique et théorie ne seront plus abandonnées. Ce n’est pas entre les mains d’un Alexandre III, d’un Lucius III, d’un Innocent III, d’un Grégoire IX, d’un Innocent IV, que la centralisation s’affaiblira : ces grands papes du xiie et du xme siècle ne feront, au contraire, que la consolider.

V. LIMITATION 1>V POUVOIR DES ORDINAIRES. — Sous leur pontificat, la restriction légale des pouvoirs de l’évêque apparut. Sans doute, déjà sous Grégoire VII l’exercice de ces pouvoirs avait subi des entraves ; mais l’action des légats avait surtout pour objet de réprimer les abus ; elle se faisait sentir pour imposer une ligne de conduite, empêcher telles mesures : spéculativement, les évêques gardaient tout leur ancien pouvoir de juridiction ; le pape ne faisait que leur prescrire d’en user dans un sens déterminé. Cette situation va changer.

La théorie et la pratique de ta dispense.

Tout

d’abord, le pouvoir de l’évêque de dispenser des lois ecclésiastiques est mis en question. Aucune théorie un peu cohérente en matière de dispense n’a vu le jouiavant le xe siècle : les concessions s’accordaient rarement, et toujours elles devaient se fonder sur des raisons d’utilité publique ; mais les évêques disposaient à leur sujet d’une compétence indiscutée. Au contraire, au xie siècle, une doctrine s’ébauche ; le Saint-Siège, poussé par les exigences de la réforme, travaille à étendre son droit de dispenser et à restreindre celui des prélats inférieurs ; les concessions deviennent plus fréquentes, et l’ancienne obligation d’invoquer un motif d’ordre public s’atténue. Toutefois, les idées sont flottantes, la pratique manque d’uniformité : les papes dispensent, certains évêques aussi ; d’autres se plaignent des interventions papales, qu’ils considèrent comme une usurpation de leurs droits à eux, dont ils entendent ne pas user ; d’autres, enfin, recourent au pape. Au xii siècle, les décrétistes, tout en tâtonnant sur bien des points, reconnaissent au pape un droit universel de dispense sur toutes les lois simplement humaines, droit qu’ils rattachent au pouvoir souverain. Quant aux papes de cette époque, ils revendiquent hautement la compétence exclusive sur leurs propres lois, ainsi que sur les dispositions conciliaires : ce que personne ne leur conteste plus guère ; mais ils proclament non moins haut leur puissance d’intervenir, au nom de la plénitude de leur juridiction, même pour dispenser des lois épiscopales, et cela malgré l’évêque, lit leur théorie prévalut, en attendant que saint Thomas d’Aquin formulât, le premier, du reste, les clairs principes auxquels tout le monde se ralliera : peut dispenser d’une loi l’autorité d’où elle émane ; un inférieur ne peut entreprendre sur les lois de son supérieur que dans la mesure où celui-ci l’y a autorisé ; le pape, dépositaire du pouvoir suprême, peut dispenser de toute loi, à condition qu’elle admette dérogation, à savoir qu’elle ne ressortisse point au droit divin, naturel ou révélé. M. A. Stiegler, Dispensation, Dispensationswesen und Dispensationsrecht im Kirchenrecht geschichtlich dargestellt, Mayence, 1901 ; J. Brys, De dispensalione in jure canonico, Bruges, 1925. A la fin du xine siècle, cette doctrine n’est plus contestée : on voit son importance au point de vue de la centralisation, puisque la fréquence des dispenses s’introduisit de pair avec là réserve au pape seul du droit de les accorder, chaque fois qu’if ne s’agirait point de déroger à uuv simple loi diocésaine.