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PAPE. PROGRÈS DK LA CENTRALISATION


faculté, pour tout fidèle qui se croit lésé par le jugement de ses supérieurs locaux, de porter sa cause, en dernière instance, devant le tribunal suprême du pontife romain. P. L., t. liv, col. 016, 630, 655. Au point de vue qui nous occupe, c’était affirmer, déjà, le principe de l’ingérence d’office, sans sollicitation préalable de l’évêque, dans les affaires disciplinaires des Églises particulières. Et vraisemblablement cette revendication ne fut pas étrangère à l’intensification des recours à Rome. Comment croire, en effet, que les prélats se soient désintéressés du démenti éventuel qu’un appel judiciaire pouvait procurer à un de leurs actes de gouvernement ? En s’assurant au préalable de la pensée du Saint-Siège, ils se prémunissaient contre un tel danger.

2. L’usage des légations.

Mais au Ve siècle apparaît encore autre chose ; l’usage des légations. Les papes délèguent parfois leur autorité, à titre transitoire ou permanent, à des hommes de confiance qu’ils chargent de veiller, sur les lieux, à l’observation de la discipline ecclésiastique. Laissons de côté la question du vicariat de Thessalonique, car l’illyrieum dépendait de la papauté, à cette époque, de façon spéciale. Mais l’envoi d’enquêteurs, munis de pouvoirs apostoliques, se constate sous le pontificat de saint Léon. Comme de nombreux voyageurs, écrit ce pape aux évêques de Mauritanie, lui ont parlé d’ordinations illicites qui se pratiqueraient dans leur région, la sollicitude que Dieu lui impose à l’égard de toute l’Eglise lui fait un devoir de vérifier l’exactitude de ces dires. Il envoie donc Pontianus, son frère dans le Chris ! et évêque comme lui, pour qu’il informe au sujet de ces élections réputées irrégulières et lui fasse un rapport fidèle. P. L., t. liv, col. 645.

Les successeurs de saint Léon suivirent son exemple. En 482, Simplicius investit de son autorité l’évêque de Séville, pour qu’il puisse imposer avec plus de force, dans sa province, l’obéissance aux décrets ecclésiastiques : congruum duximus : >icaria Sedis nos/ne te auctoritate fulciri. P. L., t. lviii, col. 35. Hormisdas confie au même évêque des pouvoirs analogues pour la Bétique et la Lusitanie, tout en sauvegardant, néanmoins, la juridiction des métropolitains. P. L., t. lxiii, col. 426. Il établit l’archevêque de Tarragone légat pour le reste de l’Espagne : vices vobis apostolicee Salis eatenus delegamus ut sive ea qux ad eanones pertinent sive ea quæ a nobis sunt nuper mandata serventur. P. L., t. lxiii, col. 422. Dans les premières années du viie siècle, saint Grégoire le Grand, soucieux d’extirper de l’Église franque la simonie et l’ingérence abusive des laïcs dans la provision des sièges épiscopaux, désigne un légat, certain Ciriacus, qu’il charge de promouvoir la réunion de conciles provinciaux et d’amener les évêques à y lutter pour la sauvegarde de la discipline ; et pour que cet envoyé jouisse d’un plus grand cri-dit, le pape négocie avec la reine Brunehault dans le but d’amener celle-ci à solliciter elle-même la légation. P. L., t. lxxvii, col. 1038, 1209, 1261. Vers 680, Agathon envoie en Angleterre le préchantre de la basilique romaine de Saint-Pierre, pour qu’il enseigne aux moines les mélodies sacrées ; mais il le charge en même temps de s’informer à fond de l’état religieux de la Grande-Bretagne ; et le délégué, pour renseigner son maître avec plus de compétence, réunit un concile. Bède le Vénérable, Historia ecclesiastica gentis Anglo-Tum, t. IV, c. xviii, P. L., t. xcv, col. 200. Quelque obscurité que présente la question du vicariat apostolique d’Arles, il n’est pas douteux que certains titulaires de ce siège n’aient joui, au moins à titre personnel, d’une délégation pontificale ; cf. L. Duchesne, Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, t. I er, 2e éd., Paris, 1907, p. 86 ; A. Malnory, Saint Césaire, évêque d’Arles, Paris, 1894, c. m et vi, p. 38, 105. De même

saint Rémi de Reims sur certaines provinces de la Belgique et de la France. Saint Boniface, avant d’être placé sur le siège de Mayence, exerça en France et en Allemagne les fonctions de légat, au nom de Grégoire II, de Grégoire III et de Zacharie. Cf. Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l’Église, I re partie, 1. I er, c. xxx et xxxi, dans l’éd. de Bar-le-Duc, t. i, 1864, p. 164 et 167.

Grâce à l’existence de ces légats, primats, vicaires apostoliques, la chrétienté s’habitue à l’exercice du droit papal de surveillance. Parfois l’épiscopat voit ces contrôleurs de mauvais œil, mais leur activité lui fait sentir qu’au-dessus de lui. et à côté des conciles, existe une autorité suprême à laquelle il doit des comptes.

Le ve siècle, et plus précisément le pontificat de saint Léon le Grand, avec les recours fréquents mais spontanés que nous venons de voir, avec l’affirmation du droit pour tous les fidèles d’en appeler au tribunal apostolique, avec la pratique des légations, marque dans le progrès de la centralisation ecclésiastique comme le commencement d’un palier, sur lequel la papauté se maintiendra pendant longtemps.

Il ne faudrait pas croire, en etïet, que la mainmise pontificale sur le gouvernement effectif de l’Eglise universelle ait progressé de façon régulière et continue. La marche en avant paraît s’être faite plutôt par bonds. L’on peut même dire que la centralisation ecclésias tique n’est pas nécessairement corrélative au prestigr de la papauté. Après la chute de l’empire d’Occident (476), celle-ci apparaît dans une situation morale de tout premier plan : elle seule représente l’Europe en face de Byzance ; et, en Europe, elle seule incarne la civilisation en face des barbares. Au vie -vne siècle, se dessine le mouvement vers Rome des pèlerins, plus ou moins illustres, qui viennent en personne soumettre au vicaire de Jésus-Christ leurs difficultés, recevoir ses conseils ou son absolution. Cf. G. Le Bras, La renaissance gélasienne, dans Rev. hist. de droit français et étranger, juillet-septembre 1930, p. 506. Cependanl l’on ne remarque pas, à cette époque, d’innovation bien caractéristique au point de vue qui nous occupe. L’activité des papes hors de Borne varia forcément d’intensité selon que des exigences immédiates retenaient plus ou moins leur attention sur le prochain voisinage : difficultés avec les grands d’Italie, défense du patrimoine de saint Pierre, lutte contre les envahisseurs et les brigands, factions à Rome même. En outre, quand ils portaient leurs regards sur le reste de l’Occident, à partir du VIe siècle, des nécessités impérieuses s’imposaient à leur sollicitude : l’Europe se débattait dans l’anarchie ; la civilisation romaine y disparaissait sans que fût encore organisé l’ordre nouveau appelé à la remplacer. La papauté eut à s’occuper tout d’abord de promouvoir l’expansion de la foi catholique parmi les conquérants barbares. Ensuite il lui fallut déployer une activité de nature surtout politique, en vue d’asseoir sa propre puissance temporelle, d’imposer son influence et de jouer le rôle de pacificateur et d’arbitre. Cf. A. Fliche, La chrétienté médiévale, Paris, 1929 ; L. Duchesne, Les premiers temps de l’état pontifical, Paris, 3e éd., 1911. Ce n’est guère qu’au xie siècle qu’elle pourra s’engager résolument dans la voie de la centralisation proprement dite.

3. Diffusion des collections canoniques : les Fausses Décrétâtes. — En attendant, la diffusion de plus en plus grande des textes canoniques, authentiques et apocryphes, travaillera à faciliter, le moment venu, la pression pontificale. Répandues en Italie, dès le vie siècle, grâce à la collection de Denys le Petit, et peu de temps après en Espagne, avec VHispana, attribuée à tort ou à raison à Isidore de Séville, les décrétales, déjà introduites en grand nombre dans les collections gauloises,