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1879

PAPE. PROGRÈS DE LA CENTRALISATION

ISSU

(liant la loi ; quand celle-ci n’est pas directement en cause, au moins les questions posées revêtent-elles un caractère de spéciale importance : l’opinion est émue, les esprits inquiets, troublés ; le besoin se fait sentir, pour ramener le calme, d’une parole tombée de très haut, de beaucoup plus haut que d’une simple chaire épiscopale. Les évoques ne mêlent point le siège apostolique aux soucis normaux, quotidiens, de leur gouvernement.

/II. A partir b v Ve siècle. — 1° Plus grande fréquence, des rapports. — Cette situation se modifie au v c siècle, et même dès la fin du iv°. Les chefs des diocèses occidentaux prennent l’habitude de consulter le pape suides affaires de simple discipline, d’administration courante : sur les conditions d’admission dans le clergé, sur l’usage des peines canoniques, l’attitude à prendre à l’égard de certains délinquants, la manière de se comporter vis-à-vis des gens dont le mariage semble douteux ou irrégulier, etc. Déjà la lettre d’Ilimérius de Tarragone, à laquelle répond Sirice en 385, appartient à cette nouvelle période ; mais c’est surtout un peu plus tard, sous les pontificats suivants, que les consultations de ce genre se multiplient. Il suffit de parcourir ce qui subsiste de la correspondance des papes du v c siècle pour voir la variété des interrogations qu’on leur pose. Écrivant aux évêques d’Afrique réunis à Milève pour le concile de 41C, Innocent I er parle des innombrables questions qui lui arrivent de toutes les provinces : nous y répondons, dit-il, après les avoir soumises à un examen fidèle, bien que sommaire. P. L., t. xx, col. 589. Même témoignage dans une lettre de Célestin I er aux évêques de l’Illyricuin. P. L., t. l, col. 427. Une épître de saint Léon le Grand, adressée aux évêques de la province de Vienne, atteste que l’épiscopat gaulois recourait au Saint-Siège à chaque instant et pour les motifs les plus divers. P. L., t. Liv, col. 630. L’archevêque de Vienne, saint Avit († 523) confirme ces déclarations : les canons conciliaires des Burgondes, écrit-il à Sénarius, prescrivent de recourir au pape chaque fois qu’un doule surgit touchant la discipline ecclésiastique. P. L., t. lix, col. 253.

L’Église latine doit à cette pratique l’une des sources principales de sa législation. En effet, dès le vi c siècle, Denys le Petit fait, à laide de ces décrétâtes, de ces réponses papales fixant le droit sur un point particulier, une collection de textes canoniques, d’autorité égale à celle des canons conciliaires qu’il vient de réunir. Véhiculés de recueil en recueil, augmentés, au cours des âges, de décisions nouvelles, ces fragments ont fourni au Corpus juris l’un de ses plus riches éléments.

La fréquence des rapports entre Rome et les divers diocèses caractérise l’Église d’Occident. Il ne faudrait pas croire, cependant, que les papes n’intervenaient pas dans les affaires des Églises orientales : mais leurs relations avec ces dernières paraissent les mêmes au vi’siècle qu’au iiie : elles se bornent aux questions essentielles. Du moins peut-on l’inférer, semble-t-il, d’une loi de Justinien, datée de 533. Dans cette constitution, qu’il adresse à Épiphane, patriarche oecuménique de Constantinople, l’empereur interdit de prendre aucune mesure concernant l’unité et l’état de l’Église, sans l’avoir préalablement soumise au jugement de « la béatitude du très saint pape et patriarche de l’ancienne Rome, puisqu’il est le chef de tous les prêtres de Dieu ». Code, 1. I er, tit. I er, De summa Trinitate et de fide catholica, const. 7 ; dans l’éd. Krueger, p. 8.

Ces rapports restent spontanés.

Même pour

l’Occident ; toutefois, peut-on parler, dès cette époque, de centralisation’? Ce terme, dans son acception précise, implique l’idée d’une tendance à prendre en main la direction, à se réserver les initiatives ; il laisse sup poser une volonté d’influence et de contrôle. Or, rien de tel n’apparaît encore dans la littérature papale du ve siècle. Sans doute, les pontifes romains se plaisent à constater l’empressement des évêques à les consulter, ils le trouvent légitime et naturel, ils le louent, ils l’encouragent. « Quoique les pasteurs gouvernent chacun leur troupeau avec une spéciale sollicitude, écrit saint Léon le Grand aux évêques de la province de Vienne, et quoiqu’ils sachent qu’ils rendront compte à Dieu des brebis qui leur sont confiées, cependant la cure nous en est commune avec eux tous, et il n’est pas un d’entre eux dont l’administration ne soit une partie de notre propre labeur. » P. L., t. liv, col. 630. Mais les recours restent spontanés ; - le Saint-Siège ne prend aucune mesure pour les rendre obligatoires : les évêques s’adressent à Rome parce qu’ils y trouvent un avantage.

3° Premiers éléments de centralisation : 1. Les appels à Rome. — Cependant il y a lieu de relever, dans l’attitude de la papauté au v c siècle, deux particularités importantes qui influeront de façon considérable sur la centralisation ultérieure : d’abord les papes revendiquent hardiment le droit absolu, pour eux, d’accueillir les appels judiciaires. On a essayé de rattacher la primauté du tribunal apostolique à la constitution Ordinariorum, par laquelle l’empereur Gratien, répondant au concile romain de 378, décida que tous les évêques de l’empire d’Occident qui ne voudraient pas accepter la sentence de leurs pairs réunis en concile devraient se présenter au pape, et au besoin y être’contraints par les préfets du prétoire. En effet, remarque-t-on, 1e concile de Sardique (343-344) avait bien déjà proclamé le pouvoir du pontife romain sur les sentences portées contre un membre de l’épiscopat, battant ainsi en brèche le principe admis par le concile d’Antioche in eneseniis, de 341, que le jugement des évêques appartenait exclusivement à leurs collègues de la province, assistés, s’il le fallait, par ceux de la province voisine ; mais il reconnaissait au pape une juridiction de cassation plutôt que d’appel ; il ne le chargeait pas de juger lui-même sur le fond, en seconde instance, mais seulement de désigner de nouveaux juges, in partibus, s’il n’approuvait point la première sentence : Gratien allait beaucoup plus loin. Sans doute ; mais il faut tenir compte que les Pères de Sardique n’accordaient pas au pape une faculté nouvelle ; au contraire, ils restreignaient plutôt, dans un désir de conciliation inspiré par les circonstances, les attributions du Saint-Siège : avant Sardique, en effet, le pape Jules I er affirmait très nettement, comme un usage établi, le droit d’en appeler au pape des jugements rendus par un concile provincial. Aussi bien, pas plus la constitution de Gratien que les canons de Sardique ne modifièrent la pratique antérieure ; qu’il s’agisse de 344 ou de 379, les plaignants et le pape se comportèrent exactement après comme avant. Ces deux interventions, conciliaire et impériale, ne sont donc pas la source de la primauté judiciaire du Saint-Siège. Cf., pour le concile de Sardique, Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. i, p. 764, et P. Batiffol, La paix constantinienne et le catholicisme, p. 443 ; pour la lettre de Gratien, P. Batiffol, Le Siège apostolique, p. 45.

En outre, ces interventions n’avaient pour objet, l’une comme l’autre, que les sentences frappant un évêque. Elles n’intéressaient à aucun titre les causes des membres inférieurs de la hiérarchie ecclésiastique ou des simples fidèles ; pour celles-ci, les origines de l’appel à Rome demeurent dans l’ombre la plus épaisse. Or, c’est bien le droit pour tout le monde de se présenter devant eux qu’allirment les papes du ve siècle. Saint Léon revient à chaque instant sur ce point. Qu’on se reporte à ses lettres aux évêques de l’Illyricum, de la Gaule, de l’Afrique : il y insiste sur la