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ORDINATIONS ANGLICANES. DÉFAUT D’INTENTION


quelqu’un a employé sérieusement et comme il faut la matière et la forme nécessaires pour faire et conférer un sacrement, il est par là même censé avoir eu l’intention de faire ce que fait l'Église. C’est sur ce principe que s’appuie la doctrine d’après laquelle un sacrement est valable lorsqu’il est conféré par le ministère d’un hérétique ou d’un homme non baptisé, pourvu qu’il le soit selon le rite catholique. Au contraire, si le rite est modifié dans le dessein manifeste d’en introduire un autre non admis par l'Église, et de rejeter ce que fait l'Église et ce qui, par l’institution du Christ, appartient à la nature du sacrement, il est alors évident que non seulement l’intention nécessaire fail défaut, mais encore qu’il existe une intention contraire et opposée au sacrement. » Bulle Apostolicæ curæ.

Dans leur réponse à la bulle, les archevêques d’Angleterre admettent avec Léon XIII qu’il faut juger de l’intention du ministre, quatenus extra proditur ; et ils essayent de montrer par divers arguments que cette intention de faire ce que fait l'Église existe vraiment chez eux : Quæ quidem intentio ab Ecclesia nostra yeneraliter proditur cum promissionem ab ordinando exigat, ut doctrinam, sacramenta et disciplinam Christi recte ministrare vêtit, et eum, qui huic promisso in/idum se monstraverit, jure puniendum doceat. Et in lilurgia conlinuo oramus « pro episcopis et parothis » ut lam vita quam doctrina sua verum vivumque (Dei) verbum annuntient, et sanrta (Ejus) sacramenta recte et rite ministrent. — « Sed intentio Ecclesiæ qualenus extra proditur » exquirenda est ex formulis scilicel publicis et sententiis definitis quæ rei sumniam recta via tangant ; non ex omissionibus et reformationibus per occasionem factis, secundum libertalem quæ unicuique provinciæ et genti competit, nisi si quid forte (imittatur quod in verbo Dei aut statutis universæ Ecclesiæ cognitis et certis ordinalum fueril. Responsio… § viii, Lacey, op. cit., p. 363-364.

Le premier argument, tiré du serment exigé des ordinands et de la prière liturgique pour les évêques et les curés, est acceptable, si l’on donne au mot sacramenta, incluant le sacrement de l’ordre, sa véritable signification de signe sensible de la grâce conférée par le rite. Mais était-ce bien ce sens que lui prêtaient ceux en qui il faut voir les auteurs de la hiérarchie actuelle, Cranmer, Barlow et Parker ? On fait appel aux formules publiques et aux doctrines officielles : elles ont été étudiées plus haut, et l’on a vu qu’elles détournaient de leur véritable sens les termes de prêtre et d'évêque ; qu’il n'était plus question de grâce sacramentelle conférée dans le sacrement de l’ordre. Ces omissions et ces réformes, per occasionem factæ, que les archevêques semblent regarder comme secondaires et accessoires, ont une importance capitale, puisque ce sont elles qui ont détourné les rites de l’ordination sacerdotale et de la consécration épiscopale de leur véritable signification.

Elles nous font voir quelle était la véritable intention de ceux qui ont donné naissance à la hiérarchie anglicane : intention enlevant toute efficacité au rite employé, parce que ce rite n’est plus celui qui a été institué par.Jésus. Le pape Zacharie, répondant à une question de saint Boniface, a résolu un cas qui présente beaucoup d’analogies avec celui qui nous occupe actuellement. L’apôtre de la Germanie avait demandé à Rome s’il convenait de réitérer le baptême à ceux qui l’avaient reçu d’un prêtre qui, peu versé dans la langue de Cicéron, employait la forme : Ego baptizo te in nomine Patria, Filia et Spiritu sancta. Au sentiment de Boniface, un tel baptême était invalide'. Zacharie répond : Sed, sanctissime frater, si Me qui baplizavil non errorem inlroducens aut hæresim, sed j>rn sola iynoranlia romanæ locutionis infringendo

linguam, ut supra fati sumus, baptizans dixisset, non possumus consentire ut denuo baptizentur, Mansi, Concil., t.xii, p. 325. La forme ici était susceptible d’une double interprétation, l’une orthodoxe, l’autre hérétique : l’intention du ministre lui donne sa valeur : agissant par ignorance de la langue, il confère le sacrement ; introduisant une erreur dans la forme, son intention vicie complètement le rite, qui ne' produit aucun eiïet.

On peut très bien appliquer cette doctrine aux premiers ministres anglicans. « Dans l’Ordinal d’Edouard VI, on avait fait des changements considérables, par rapport aux anciens rites, et cela dans l’intention expresse d'éliminer la prétendue superstition papiste que l’ordination confère un pouvoir mystique sur les sacrements, et de n’y laisser que ce qui était conforme à la doctrine protestante d’une délégation provenant d’une autorité purement humaine. Les anglicans prétendent que, quel qu’ait pu être le dessein des compilateurs, les changements qu’ils ont introduits n’ont pas pu faire disparaître les éléments essentiels du rite valide des ordinations. Ils ont laissé l’imposition des mains et une forme susceptible d’un sens catholique. Faisons-leur cette concession, bien qu’elle soit excessive. Le rite reste, cependant, à tout le moins, ambigu, et cette ambiguïté doit être résolue dans le sens des opinions de ceux qui ont composé ce rite et qui s’en sont servi. On ne saurait objecter contre ce raisonnement que, d’après les théologiens catholiques, un ministre hérétique administre validement un sacrement toutes les fois qu’il a « l’intention générale de faire ce que fait l'Église par ce sacrement » ; car ce principe n’est valable que pour les cas où la matière et la forme employées sont celles dont se sert l'Église catholique, ou que du moins elles n’admettent pas d’autre sens. Si on introduit dans la forme un autre sens, dans le but de la rendre susceptible d’une interprétation hérétique, l’intention hérétique du ministre est, pour la raison donnée plus haut, fatale à la validité du sacrement. » S. Smith, Rome’s Witness against Orders, dans The Month, juillet 1893, p. 372, cité par Boudinhon, Étude théologique sur les ord. angl., dans le Canoniste contemporain. 1894. p. 389.

Ainsi le rejet du rite adopté par l'Église, l’adoption d’un rite nouveau, dans le dessein d’introduire l’hérésie, sont bien une preuve de l’absence, chez le ministre, de l’intention de faire ce que fait l'Église ; il n’est même pas besoin, au sentiment du cardinal d’Annibale, que des changements essentiels soient apportés à la forme : une modification accidentelle, avec ce dessein d’introduire un nouveau rite ou une hérésie, suffit pour témoigner du défaut d’intention : Quod autem quidam docent sacramentum non valere si minister immutaverit aliquid accidentaliter, ut novum rituni vel errorem introducat, sic accipiendum est quia is non creditur habere intentionem faciendi quod facit Ecclesia. Summula, iii, n. 101, note 18.

Dans le rite anglican, les modifications sont essentielles. Barlow et Parker, ont ariopté un rite nouveau, différent de celui de la véritable Église ; ils ont introduit dans ce rite une doctrine sur le sacerdoce et l'épiscopat contraire à l’orthodoxie. C’est la preuve extérieure, évidente, qu’ils n’avaient pas l’intention de faire ce que fait l'Église, mais bien une intention tout opposée. Ce défaut d’intention a suffi pour arrêter la transmission du pouvoir sacerdotal dans l'Église anglicane, pour rendre nulles toutes les ordinations qui ont suivi.

Conclusion. - La controverse sur la validité dès ordinations anglicanes a eu pour effet de montrer la légitimité et la sagesse de la conduite suivie pendant trois siècles par l'Église jusqu'à nos jours.