Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée
1183
1184
ORDINATIONS ANGLICANES. INSUFFISANCE DU RITE


pouvoirs sacerdotaux. Comment pourrait-on penser à un sacerdoce suprême, là où il n’y a pas apparence de sacerdoce ? « Il est hors de doute, dit Léon XIII, que, de par l’institution même du Christ, l'épiscopat se rattache véritablement au sacrement de l’ordre et est un sacerdoce d’un degré excellent, puisque, dans le langage des Pères comme dans notre usage rituel, il est appelé le sacerdoce suprême, la plénitude du sacerdoce. Il en résulte que, puisque le sacrement de l’ordre et le vrai sacerdoce du Christ ont été bannis entièrement du rite anglican et puisque, dans la consécration épiscopale suivant le même rite, le sacerdoce n’est aucunement conféré, l'épiscopat ne peut donc plus être conféré vraiment et réellement ; d’autant plus que parmi les principales fonctions de l'épiscopat se trouve celle d’ordonner des ministres pour la sainte eucharistie et pour le sacrifice. » Bulle Apostolicæ curæ.

b) Suppression des véritables pouvoirs du prêtre et de l'évêque dans la doctrine de l'Église anglicane. — Que les termes ambigus de priest et de bishop aient été interprétés dans leur sens protestant, nous avons déjà pu l'établir par l’examen de l’Ordinal. C’est bien ce sens qu’on leur a donné pendant longtemps dans une grande partie de l'Église anglicane et qu’ils ont encore maintenant pour un grand nombre de ministres de cette Église. Les idées de Cranmer, qui eut la part principale dans la rédaction de l’Ordinal de 1550 et dans celle des deux Prayer Book de 1549 et de 1552, ne laissent aucun doute à cet égard. Il n’y a pour lui qu’un seul sacrifice, celui par lequel « le Christ s’est offert une fois pour abolir le péché jusqu'à la fin du monde, par une seule effusion de son sang… Pour remettre nos péchés, nous ne devons plus chercher d’autre prêtre et d’autre sacrifice que lui et son sacrifice… La doctrine de l'Église (sur la messe) est contraire à l'Évangile et injurieuse au sacrifice du Christ… C’est un blasphème abominable de donner à un prêtre l’office ou dignité qui n’appartient qu’au Christ. Et toutes semblables messes papistes sont à bannir simplement des Églises chrétiennes, et l’usage véritable de la Cène du Seigneur doit être rétabli, en laquelle le dévot peuple assemblé puisse recevoir le sacrement chacun pour soi, afin de déclarer qu’il se souvient du bienfait qu il a reçu par la mort du Christ, et pour témoigner qu’il est membre du corps du Christ, nourri de son corps et abreuvé de son sang spiiituellement. » Cranmer, Lord’s Suppcr, t. ii, p. 346 sq. On retrouve les mêmes idées chez Ridley, évêque de Londres, Œuvres, p. 321 et app. vi. Ces paroles sont comme le résumé anticipé de ce qui sera l’enseignement officiel de l'Église anglicane sous Edouard VI et Elisabeth : rejet du sacerdoce, du sacrifice eucharistique et de la présence réelle ; ce sont les doctrines protestantes introduites en Angleterre par les réformateurs du continent, pourvus de chaires à Oxford (Pierre Martyr), ou à Cambridge (Bucer), ou de bénéfices ecclésiastiques à Canlorbéry. Ces idées ne sont pas personnelles à Cranmer. Elles ont trouvé leur application pratique dans le Prayer Book et furent codifiées dans les Trente-neuf articles.

Le premier Prayer Book a été imposé par l’Acte d’uniformité de février 1549. On a voulu n’y voir qu’une correction modérée, généralement conservatrice en ses tendances, du missel de Sarum ; cf. Frère, History of the Book of common Prayer, p. 52-5 1 ; Wakeman, History of the Church of England, p. 270. Sans doute, les nouveaux réformateurs avançaient avec prudence. Le but de Cranmer, d’après Strype, Memorials of archbishop Cranmer, t. i, p. cxxiv et 184, était d'éliminer du missel tous les termes qui faisaient de la messe un sacrifice et qui rappelaient la consécration du pain et du vin au corps et au sang

du Christ ; d’introduire intégralement les doctrines protestantes, d’accord avec Jean de Lasco et Mélanchthon. Une lettre de Richard Hilles, calviniste ami de Cranmer, à un autre calviniste, Henri Bullinger, 4 juin 1549, témoigne que l’on n’est pas encore disposé en Angleterre à accepter tous les rites de Calvin, Lettres de Zurich, 1. 1, p. 265. C’est l’influence luthérienne qui prévaut alors ; les paroles de l’institution, dans le Prayer Book de 1549, sont à rapprocher de celles du missel de Nuremberg-Brandebourg de 1533 ; cf. Gasquet et Bishop, Edward VI and the Book of common Prayer, app. vi. Or Luther rejetait l’idée de sacrifice. Il y a d’ailleurs dans cette première édition du Prayer Book, comparée au missel de Sarum, des suppressions bien significatives : l’offertoire a disparu ; dans le canon et les autres parties de la messe, toutes les phrases qui faisaient allusion au sacrifice ont été modifiées ou supprimées. Dans le rapport qu’ils ont envoyé au Saint-Office, en 1896, dom Gasquet et le chanoine Moyses en ont donné seize exemples. Ordines anglicani, p. 62-63 et app. m. Il n’y a plus qu’une sorte de sacrifice, celui de la louange et de l’action de grâces, sacrifice of praise and thanksgiving ; cf. Estcourt, op. cit., p. 340 ; Lee, King Edward the Sixlh Suprême Head, p. 98 sq. Pour éviter toute autre interprétation dans l’esprit des fidèles, « pour détourner les simples des superstitieuses opinions de la messe papiste… car l’autel sert à sacrifier, la table à offrir aux hommes un repas », on remplaça les autels par de simples tables ; sous l’influence de Ridley, évêque de Rochester, la couronne donna l’ordre, en 1550, d’opérer partout cette substitution. Cf. D. W. Raynal, The Ordinal of Edward VI, p. 28.

Mais ce premier Livre de la prière commune était encore, aux yeux de certains, trop conservateur, surtout relativement à la doctrine de la communion ; les idées de Calvin sur la cène l’emportaient sur celles de Luther et commençaient à s’imposer. Leur pénétration est évidente dans la rédaction du Prayer Book de 1552 ; cf. sur l'étroite parenté entre les deux liturgies anglicane et calviniste, R. Bersier, Projet de revision de la liturgie des Églises réformées de France, Paris, 1888.

Dans cette nouvelles édition, les dernières traces de la messe disparaissent. Le canon est partagé en deux parties : la première placée au début de l’office devient une prière pour l'Église militante et la seconde, rejetée à la fin du service, une prière d’action de grâces. Les mêmes efforts sont faits pour éliminer des formules de prière tout ce qui faisait penser à la présence réelle de N.-S. sous les saintes espèces. Les paroles : « Daignez bénir et sanctifier ces dons qui vous appartiennent et ces créatures du pain et du viii, afin qu’elles soient pour nous le corps et le sang de votre très cher Fils J.-C, » pouvaient encore être interprétées en un sens orthodoxe, on les supprime et on les remplace par les suivantes : « Faites-nous la grâce que, recevant ces créatures du pain et du viii, selon la sainte institution de votre Fils J.-C, notre sauveur, en mémoire de sa passion et de sa mort, nous soyons faits participants de son corps et de son sang très précieux. » L’ancienne formule de la communion, conservée en 1549, est remplacée, en 1552, par la suivante : « Prends et mange ceci en commémoration que J.-C. est mort pour toi, et te repais de lui en ton cœur, par foi, avec action de grâces. Bois ceci en commémoration que le sang du Christ a été répandu pour toi, et rends grâces. » On peut compter neuf changements de même signification introduits dans le nouveau Prayer Book de 1552. Cf. The Drift of the liturgical changes, dans le Tablet, 12 juin 1897, p. 924 ; Ed. Bishop et dom Gasquet, Edward VI and the Book of common Prayer, Londres, 1890.