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v fut seulement associé dans une mesure qu’il est difficile de préciser sans de nouvelles études, l’enquête d’Echard étant trop laconique. Cependant, si Inibart de la Tour a trop négligé, dans ses études sur les origines de la Réforme en France, d'étudier le fonctionnement et le rôle de l’inquisition, les travaux de N. Weiss et surtout de M. Chassaigne (Etienne Dolet) permettent de suppléer dans une certaine mesure au défaut de connaissances plus précises sur l’inquisition française du xvr 2 siècle. Plus qu’en Espagne, le pouvoir civil coopère à la répression de l’hérésie. L’inquisiteur général Matthieu Ory est un véritable fonctionnaire, une sorte d’expert théologien dont le rapport instruit le Parlement. L’inquisition d’Ory est donc moins un tribunal qui livre les coupables au bras séculier qu’une commission d’enquête préparatoire. Cette commission d’enquête n’est d’ailleurs pas seulement ecclésiastique. C’est dans son fond une commission royale. Dès le 20 juin 1537, un conseiller au Chàtelet de Paris, Engilbert Gausse, est adjoint à Ory. Il ne semble pas qu’Ory ait d’abord compris le genre de service que le gouvernement de François I er, décidé à sévir contre les réformateurs outranciers, attendait de lui. On voulait en faire le chef d’une administration officielle, d’un service d'État ; et, selon des traditions d’anciens inquisiteurs, Matthieu Ory semble avoir d’abord compris que ses enquêtes devaient passer par les ordinaires diocésains, juges normaux en matière de foi et de mœurs. Des lettres royales du 23 juillet 1540 ont pour objet de lui ordonner de communiquer ses dossiers, dans tous le* cas, aux juges séculiers institués par l'édit de Fontainebleau pour la destruction de l’hérésie. M. Chassaigne, op. cit., p. 280, n. 1. Au tribunal d’enquête et d’expertise qu'était l’inquisition d’Ory, la justice séculière était représentée. A Lyon, en 1542, nous trouvons que siègent avec Ory non seulement un vicaire général du diocèse, un dominicain, un juge ecclésiastique, mais deux juristes civils, coassesseurs d’Ory, et le substitut du procureur général de la sénéchaussée, représentant la justice laïque. Op. cit.. p. 287. Les dénonciations pouvaient se faire, soit auprès des autorités civiles, soit auprès de l’inquisition et de l’autorité ecclésiastique. Dans tous les cas, nous voyons le tribunal de l’inquisition siéger et Ory s’efforcer par des interrogatoires serrés de faire la lumière sur le caractère plus ou moins hérétique des personnages soumis à son enquête. Ory voulut aussi opposer aux nouvelles doctrines une apologie doctrinale catholique. Elle parut sous le titre : F. Matthæi Ory dominicaine familiæ theologi hicreticw pravitatis per (Rallias inquisitoris, summique pontificis a pœnitentibus, ad heeresum redivivas afjectiones Alexipharmacum. in-8°, Paris, 224 p., rééditée à Venise, 1551, in-16, et 1558, in-10 (et non in-8° comme porte Echard). Venant quelques années seulement après YInstitution de la religion chrétienne de Calvin, le petit livre d’Ory est habile. En un latin châtié, dépouillé de l’appareil et des argumentations scolastiques, il garde tout l’essentiel du thomisme. Ory sut voir que les arguments habituels des écoles étaient inopérants sur des esprits prévenus contre eux. Son exposé et sa critique portent donc sur cinq chapitres qui, visant toute la religion, ne se donnent que comme des explications de cinq mots de saint Paul : gratia, justificatio, peccalum. liberlas, lex. Cette théologie biblique paulinienne est encadrée de considérations sévères sur les hérétiques, si dignes de mort ! qui se séparent de l'Église. Par contre, l’exégèse de saint Paul faite par Ory paFaît guidée par une dialectique singulièrement souple. Avant de glisser à l’utilité de la justification par les œuvres, il fait apparemment la part belle aux tendances protestantes en insistant sur le caractère gratuit de la grâce et du mérite. La grâce qui rend agréable

à Dieu ôte le péché, et elle est le premier principe de cette justification que l’homme est bien incapable de mériter par lui-même. S’il est des œuvres coopérant à notre justification, n’est-ce point en tant que ces œuvres procèdent elles-mêmes du Saint-Esprit ? N’y a-t-il pas une grande différence entre l'œuvre humaine qui ne vient que de l’esprit humain et l'œuvre chrétienne qui procède de l’esprit du Christ ? Une philosophie vraiment chrétienne ne doit-elle pas tout ramener à de telles premières causes et à un tel premier principe ' ! C’est en toutes acceptions de ce terme qu’il faut dire que le mérite du Christ pour nous est infini. Si nous avons quelque peu de mérite, c’est comme participant à ce mérite du Christ. Le péché originel a laissé en nous de telles traces que Dieu doit encore nous assurer des secours très spéciaux pour que nous puissions accomplir ce minimum d'œuvres vertueuses qui, par ailleurs, ne vaut que par Lui. Sans aucune compromission avec les doctrines qu’il combat, Ory fait donc surtout porter l’horreur de l’hérésie sur la méchanceté du schisme. Cette méthode devait convenir aux Français d’alors qu’Imbart de La Tour trouve plus soucieux d’exactitude biblique que désireux de se séparer d’une Église fortement enracinée en France par diverses institutions religieuses ou politiques.

L’habileté de Matthieu Ory allait être mise ; i contribution dans l’affaire délicate des hérétiques de Ferrare. Une élève de Lefèvre d'Étaples, Renée de France, fille de Louis XII, mariée au duc Hercule, à Ferrare, avait peu à peu créé en cette ville un centre de refuge pour des réformés, surtout français, et de rayonnement de leurs doctrines sur la France, la Suisse et l’Italie. L’autorité inquisitoriale locale n’avait engagé que des poursuites partielles. Le duc, hostile aux idées de sa femme, voulait néanmoins ménager la France. Pour procéder contre la duchesse Renée et ses amis, il fit munir de pleins pouvoirs le grand inquisiteur de France, Matthieu Ory. Le premier effet de l’arrivée de Matthieu Ory à Ferrare. en juillet 1554, fut de disperser un certain nombre d’hétérodoxes et de faire entreprendre dans cette ville, contre ceux qui y restaient cachés, des poursuites si énergiques et si durables, que le foyer de réforme protestante de Ferrare ne s’en releva jamais. Pas plus que Meaux, Ferrare ne serait ce que devenait Genève. Matthieu Ory eut plus de difficultés en ce qui concernait la duchesse Renée elle-même, qui depuis douze ans n’avait pas entendu la messe. Il entreprit sa conversion en de longues conférences. Il semblait d’abord parvenir à ses fins, mais Calvin envoya de Genève le ministre Morel, seigneur de Colonges, qui, arrivé vers le 15 août, contrebalança l’habileté de l’inquisiteur. Celui-ci, changeant de manière, dut recourir à la force. La duchesse fut privée de ses serviteurs et de la présence de ses enfants. Sa bibliothèque fut brûlée, ses biens menacés de séquestre. Elle fut arrêtée. Enfin, le 13 septembre, on déclara que, la duchesse se convertissant, tout rentrait dans l’ordre. Elle retrouva la liberté, soit qu’elle ait réellement cédé aux instances de l’inquisiteur, soit qu’elle ait feint de reconnaître, par exemple. . à défaut de l'Église romaine. l'Église catholique, soit que d’autres influences, blâmant la violence d’Ory, aient fait brusquement congédier ce dernier. En effet, lorsque, quelques jours plus tard, Renée de France reçut la communion de la main d’un jésuite, Matthieu Ory n'était plus à Ferrare.

L'étude de M. Chassaigne sur Etienne Dolet montre que Matthieu Ory a joué un rôle prépondérant dans le drame par où se termina l’existence agitée de cet humaniste. Etienne Dolet qui, cicéronien et imprimeur d’humanistes, était atteint d’une immense fatuité,