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OROSE


mutationes ckristianorum ultionibus coaptanlem ; et interdum quidem verisimilium specie permoti, utpote

    1. BOMINES IGNARI DIVINORUM SECRETORUM##


BOMINES IGNARI DIVINORUM SECRETORUM, timoré

palluimus. Mais cette objection, il n’est pas dit qu’Orose n’en ait pas senti la valeur.

Et que dire de cette conception générale de l’histoire suivant laquelle, antérieurement à la venue du Christ, il n’y eut sur la terre que misères et calamités, tandis que, depuis l’apparition du Sauveur, ou tout au moins depuis sa reconnaissance officielle par l’empire, tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes ? C’est pourtant ce qu’on lit, à maintes reprises, dans Orose. Voir, par exemple, t. V, c. xxii, col. 975-977 ; p. 337-339, la comparaison entre les guerres civiles du temps de la République romaine et les troubles arrivés au temps de l’empire déjà chrétien. Et, encore, t. VII, c. vi, col. 1073-1074 ; p. 447-448, les heureux débuts du règne de Claude, coïncidant avec l’arrivée de saint Pierre à Rome : exordio regni ejus Petrus Romani venit… atque exin christiani Romæ esse cœperunt. Sensit hoc colt.atum fidei su.e Roma beneficium. En effet, continue l’auteur, la guerre civile qui aurait pu éclater cesse sans coup férir, la Bretagne est conquise comme par enchantement : que l’on compare cette conquête avec la vaine tentative de Jules César ! Et voici la conclusion : Sic demum Roma cognoscat per ejus latentem providentiam in augendis rébus antea se partem habuisse, cujus agnitione suscepta plenissima felicitate perfruitur, in quantum non lamen blasphemiarum ofjendiculis depravatur. Cette dernière phrase prévient une objection qui saute aux yeux ; car enfin, depuis l'ère chrétienne, les malheurs de tout genre n’ont pas manqué à la Romania. Juste punition, reprend Orose, pour les fautes dont les empereurs, soit païens, soit chrétiens, se sont rendus coupables. Vraiment il a réponse à tout, même aux objections que soulèverait contre le schématisme de son système la mort tragique d’un Gratien, d’un Valentinien II, ces princes si favorables à l’orthodoxie catholique. En fait, il n’ignore rien des ressorts secrets et des secrets desseins de la Providence. Et c’est cette imperturbable assurance qui rend exaspérante à la longue la lecture de son ouvrage.

Ajoutez à cela des rapprochements qui font sourire : Voici le triomphe à Rome de Vespasien et de son fils Titus après la ruine de Jérusalem : pulchrum et ignotum antea cunctis mortalibus inter trecentos viginli triumphos, qui a conditione Urbis usque in id tempus acti erant, hoc spectaculum fuit, patrem et filium uno triumphali curru vectos gloriosissimam ab his, qui Patrem et Filium ofjenderant victoriam reportasse. L. VII, c. ix, n. 8, col. 1085 ; p. 461. Et cette interprétation d’un prodige arrivé à Rome : le jour où Auguste fut investi de la puissance tribunitienne (c’est-à-dire où l’empire fut fait) une fontaine d’huile aurait jailli spontanément et aurait coulé pendant toute la journée : Quo signa quid evidentius quam in diebus Csesaris toto orbe regnantis futura Christi nativitas declarata est : Christus enim lingua gentis ejus in qua natus est unctus interpretatur, etc., tout le développement vaudrait d'être cité. L. VI, c. xx, n. 6, col. 1053-1054 ; p. 420. Et que d’autres l’on pourrait relever !

Est-ce à dire que tout soit méprisable dans son œuvre ? Assurément non, et parmi les vues générales qu’il prodigue, tout spécialement dans les prologues de chaque livre, il en est qui ne manquent pas de justesse. Celle-ci d’abord, que l'œuvre des grands conquérants présente toujours un envers et un endroit. Même abstraction faite des pertes en hommes et en argent que les guerres occasionnent aussi bien au vainqueur qu’au vaincu, il ne faut jamais perdre

de vue que toute conquête suppose des peuples conquérants et des peuples conquis ; l’appréciation portée sur les événements par les uns et les autres présentera donc de notables divergences. Voir le prologue du t. V, c. i, col. 917 ; p. 276. Il y a là une formule excellente : le bonheur de l’un fait le malheur de l’autre, Ecce quam féliciter Roma vincit, tam infeliciter quidquid extra Romam est vincitur. Et l’historien, dit Orose, doit s'élever au-dessus de la considération des intérêts d’une nation, pour songer aux intérêts du monde entier : quæ tempora non uni tantum urbi attributa sed orbi universo constat esse communia. Ibid. Il est vrai que, s’en tenant toujours au point de vue schématique de 1' « histoire-bataille », il ne voit pas toujours les résultats qu’eurent, pour le développement de la civilisation, des conquêtes qui, en leur début, furent extrêmement pénibles. De la gigantesque entreprise d’Alexandre, il ne voit guère due le sang qu’elle a fait couler, il oublie ce qu’eurent qe grand et d’heureux la pénétration en des régions si diverses de la culture grecque et l’unification de l’Orient qui en fut la conséquence. Ceci, il l’a mieux vu pour le monde romain, encore qu’il soit sévère pour les moyens qui ont fait triompher dans le monde la pax romana. Seulement, et l’idée ne manque pas de justesse, il insiste sur le fait que l’unité romaine n’a été vraiment réalisée que dans et par le christianisme. Voir un très beau développement t. V, c. ii, col. 921-922 ; p. 280-281 : Mihi autem prima qualiscumque motus perturbatione fugienti, quia de confugiendi statione securo, ubique patria, ubique lex et religio mea est… quia ad christianos et Romanos Romanus et christianus accedo. Le jour où les barbares participeront à la même foi catholique, ce jour-là se réalisera la chrétienté.

Cette chrétienté il ne la voit encore d’ailleurs que sous les espèces de l’empire romain s’incorporant les éléments allogènes. C’est qu’au fond, et quoi qu’il en ait, il reste encore profondément Romain. Sans doute on ne trouve pas chez lui tout le loyalisme d’un Prudence ou d’un Augustin ; il lui reste des rancœurs aux souvenirs de la conquête romaine. Pourtant il y a tant de grandeur en cette histoire, quelque chose de si providentiel dans le développement de cette puissance, qu’Orose ne peut lui refuser le tribut de son admiration. Il exalte Rome ne désespérant pas aux pires moments de la seconde guerre punique, in Iiis omnibus desperando pugnarunt, pugnando vicerunt, t. IV, c. xvi, n. 21, col. 896 ; p. 251 ; il signale les marques spéciales de la protection divine à son endroit, cꝟ. t. IV, c. xvii, n. 8-10, col. 898 ; p. 252-253 ; il célèbre les fortes vertus des vieux Romains, cꝟ. t. IV, c. xxii, n. 4, col. 912 ; p. 269.

4. Influence.

Ces qualités comme ces défauts expliquent le succès considérable qu’eut l'œuvre apologétique d’Orose. C'était la première histoire universelle issue d’une plume chrétienne. Avec des considérations générales qui n'étaient pas pour déplaire à des croyants, on y trouvait sous un volume relativement mince tout l’essentiel des faits légués par les anciens. Cet abrégé d’abrégés va devenir le manuel du haut Moyen Age. Zangemeister a dressé la table, jusqu’au ixe siècle, des écrivains qui ont pillé Orose, édit. citée, p. 701-707. Déjà Prosper s’en sert pour sa Chronique, puis « l’anonyme de Valois », le comte Marcellin, Jordanis et Grégoire de Tours ; Isidore et Bède y puisent à pleines mains, aussi bien que Paul Diacre. Les mss. qui le transcrivent sont innombrables. Au ixe siècle, le roi Alfred en donne une traduction ou plutôt une adaptation anglo-saxonne. Au milieu du xe, l’empereur byzantin Romanos II en envoie un exemplaire au calife de Cordoue, qui fait traduire l'œuvre en arabe. C’est dans Orose que