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    1. ORIGÈNE##


ORIGÈNE. LA RÉDEMPTION

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Il est. selon la formule employée par le Sauveur luimême, un rachat. Comment faut-il entendre ce rachat ? Il semble qu’il y ait, dans les œuvres d’Origène, une double conception de la rédemption. En quelques passages, le maître d’Alexandrie a l’air de l’envisager comme un rachat au sens le plus strict du terme. Par le péché, nous avons été livrés au démon, nous sommes devenus ses esclaves, sa propriété. Il s’agit donc de lui payer notre rançon. C’est pour cela que Jésus-Christ donne au démon sa propre vie, son âme. Ainsi, il nous paie, il nous achète, il nous gagne : « A qui Jésus a-t-il donné son âme en rançon pour un grand nombre ? Pas à Dieu assurément. Ne serait-c.e donc pas au malin ? Car celui-ci était maître de nous, jusqu'à ce que, pour nous, la rançon lui fût livrée, à savoir l'âme de Jésus. » In Matth., xvi, 8, P. G., t. xiii, col. 1397. De même, Origène écrit ailleurs : Audi quid dicil propheta : peccatis vestris venumdati estis, et pro iniquilalibus veslris dimisi matrem vestram. Vides ergo quia Dei quidem crcalura omnes sumus, unusquisque vero peecalis suis venumdatur et pro iniquilalibus suis a proprio erealore diseedil. Dei igitur sumus, secundum qund ab eo ereali sumus ; efjecti vero sumus servi diaboli, secundum quod peccatis nostris venumdati sumus. Veniens autem Christus redemit nos, cum serviremus Mi domino, cui nosmetipsos peccando vendidimus. El ita videtur tanquam suos quidem récépissé, quos creaverat, lanquam alienos autem acquisisse, qui alienum sibi dominum peccando quæsiverant. In Exod., nom. vi, 9, P. G., t. xii, col. 336. Cf. In Rom., iii, 7 ; iv, 11, P. G., t. xiv, col. 945 et 1000. Cette « rançon », généralement prise à la lettre, n’est sans doute qu’une métaphore pour dire le caractère onéreux de notre salut. Voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption, études critiques et documents, p. 182-206. Cependant la théorie ainsi introduite par Origène dans la théologie patristique est loin d'être heureuse.

Elle se trouve d’ailleurs corrigée ou complétée par une autre explication, celle de la substitution et du sacrifice propitiatoire. Jésus est le chef de l'Église ; il est la tête d’un corps dont nous sommes les membres : il a pris sur lui nos péchés, il les a portés et, pour nous il a librement soutïert. In Levil., hom. i, 3. Prêtre véritable, il a offert à son Père un sacrifice véritable de propitiation, dont il est lui-même la victime. Ipse Dominus Jésus Christus non ideo minus dicitur, quasi qui mutatus sil et conversus in speciem agni. Dicitur tamen agnus, quia voluntas et bonilas ejus, qna Deum repropitiavit hominibus et peccatorum indulgenliam dédit, talis exstitit humano generi quasi agni hostia immaculata et innocens, qua placari hominibus diiuna credunlur… Doncc… sunt peceala, necesse est requiri hostias pro peccalo. Nam pone, verbi gratia, non fuisse peccalum. Si non fuisse ! peccalum, non necesse fueral Filiwn Dei agnum fteri, nec opus fueral eum in carne positum jugulari, sed mansisset hoc quod in principio erat, Deus Verbum ; verum quoniam inlroivit peccalum in hune mundum, peccati autem nécessitas propiliationem requirit et propiliatio non (il nisi per hosliam, necessarium fuit prouideri hosliam pro peecato. In Num., hom. xxiv, 1, P. G., t. xii, col. 756-757. Cf. In Rom., m, 8, P. G., t. xiv, col. 946 sq.

Le sacrifice offert par le Christ a une valeur universelle. II ne rachète pas seulement les hommes, mais les anges et toutes les créatures raisonnables : où u.6vov ûrcèp àvOptoTtwv àTréOavsv, à>.Xà xoù ûrcèp twv Xoltiwv Xoyixwv. In Joan., i, 40. P. G., t. xiv, col. 93. Cf. In Matth., xiii, 8, P. G., t. xiii, col. 1116. Telle est la signification du sacrifice céleste dont il est question dans l'épître aux Hébreux : Non solum pro terrestribus sed etiam pro cselestibus oblalus est hoslia Jésus, et hoc quidem pro hominibus ipsam corporalem materiam sanguinis sui fudit, in cselestibus vero, ministrantibus, si qui ilti inibi sunt. sacèrdolibus, vitalem corporis sui virtutem velut spirilale quoddam sacrificiiim immolavit. In Levit., hom. i, 3 ; cf. In Luc, hom. x.

Ajoutons que la rédemption, accomplie parle Christ, ne saurait avoir d’efficacité que si les hommes se l’approprient en quelque sorte. Nul, nous l’avons vii, n’a plus insisté qu’Origènc. sur le rôle de la liberté da.is la vie morale. Jésus, par sa passion et par sa mort, nous a rachetés : il faut encore que chacun d’entre nous opère son salut en s’associant librement à l’i passion de Jésus.

Toutefois, en cette œuvre, nous sommes aidés par la grâce divine. En quelques endroits de ses écrits, Origène insiste sur le rôle de la grâce en des ternies qui feraient songer à saint Augustin, si nous étions assurés qu’ils sont réellement de lui. Il écrit par exemple dans une homélie sur les Nombres : Ipse Unigenitus, ipse, inquam, F Mus Deiadesl, ipse défendit, ipse cuslodil, ipse nos ad se trahit… Sed nec sufjlcit eum esse nobiscum, sed quodammodo vim nobis facit ut nos prolrahat ad salulem. Sic ergo non solum invitamur a Deo sed et trahimur et cogimur ad salulem. In Num., hom. xx, 3, P. G., t. xii, col. 734.

De tels passages sont rares. Le plus souvent, Origène se contente d’affirmer la nécessité de la coopération de Dieu avec l’homme. « Le vrai bien de la nature raisonnable, écrit-il, est une résultante de la liberté de l’homme et de la puissance divine venant en aide à l’homme vertueux. Et ce n’est pas seulement pour devenir bons, que nous avons besoin du libre arbitre et du concours divin, qui, par rapport à nous, est indépendant de la liberté ; nous en avons aussi besoin pour persévérer dans la vertu, car le plus parfait tombera s’il s’enorgueillit du bien qui est en lui, s’il s’en attribue le mérite et néglige d’en rapporter la gloire à celui qui a de beaucoup la plus grande part dans l’acquisition et la conservation de ce bien. » In Psalm., iv, P. G. t. xiii, col. 1160. Et ailleurs : « Il ne suffit pas de vouloir pour atteindre le but, ni de courir pour gagner la couronne promise au triomphateur ; il y faut l’assistance de Dieu… Pareillement notre salut, tout en nécessitant notre coopération, n’est pas néanmoins notre œuvre, car Dieu y joue le principal rôle. » De princ, III, i, 18, P. G., t. xi, col. 289.

Origène précise encore que la grâce est un don purement gratuit, In Joan., vi, 20, et que la foi ellemême est une grâce : « De même que, si nous existons, ce n’est pas en récompense de nos œuvres, mais par un pur effet de la grâce du Créateur ; de même, si nous obtenons un jour l’héritage des promesses de Dieu, c’est un don de la grâce divine et non la récompense de quelque œuvre méritoire. Mais, dira-t-on, l’homme doit offrir sa foi, et par là mériter la grâce de Dieu. Non, car l’Apôtre nous enseigne que la foi est accordée par l’Esprit-Saint, et par conséquent est une grâce elle-même. » In Rom., iv, 6 ; In Num., hom. xiii, 3.

En d’autres textes cependant, Origène semble accorder à la liberté le pouvoir qu’il lui refuse dans les passages qui viennent d'être cités. C’est à nous de commencer, dit-il, et Dieu nous tendra la main. In psalm. vxx. Notre bien et notre mal sont entre nos mains : « Dieu a donné à l’homme toutes les inclinations et tous les mouvements avec le secours desquels il peut s’efforcer et avancer dans la vertu. Il lui a donné en outre la force de la raison pour reconnaître ce qu’il doit faire et ce qu’il doit éviter. Voilà ce que Dieu a donné à tous sans exception. Si, après avoir reçu ces choses, on néglige de marcher dans la route de la vertu, l’homme, à qui rien n’a manqué du côté de Dieu se trouve avoir manqué aux dons que Dieu lui a faits. » In Rom., iii, 0 ; cf. De princ, III. ii, 3 ; In Rom., vii, 16 ; In Num., hom. xi. 4 : In Matth., xvi, 5 ; In Malth. comment, ser., 69.