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1475 MESSIANISME, LE TEMPS DE L’EXIL : LE LIVRE DES CONSOLATIONS 1476

la paix aux autres, ses meurtrissures causeront leur guérison. Précisément par sa passion « l’œuvre de Jahvé prospérera », c’est-à-dire que le but pour quoi Dieu l’a envoyé sera atteint. Parce qu’il aura livré son âme à la mort, porté les fautes de beaucoup et intercédé pour les pécheurs, il reviendra à la vie, aura une grande prospérité et vivra de longs jours. Il aura, en outre « sa part parmi les grands et partagera le butin avec les forts ». Ce qui veut dire : « Il deviendra un puissant dans l’histoire de l’humanité, un de ceux qui marqueront dans son développement, l’un des conquérants spirituels du monde. » La Bible annotée, i, 1, p. 251. Des rois et des peuples se lèveront et se prosterneront devant lui.

Il saute aux yeux que le Serviteur de Jahvé qui accomplit ainsi l’œuvre de salut est un individu. On ne comprend guère comment, au xixe siècle, tant d’exégètes ont pu tenter — et quelques-uns, p. e. Budde, dans Kautzsch, t. ii, p. 663, le tentent encore — de l’identifier à Israël. Entre les deux il n’y a rien de commun que le nom. Dans quelques endroits du contexte des quatre chants, Israël porte également le titre de « Serviteur de Jahvé ». Pour tout le reste : caractère moral, rôle à jouer, relation avec Dieu, il y a entre les deux Serviteurs une différence du tout au tout. L’explication qui voit dans le Serviteur un sujet collectif est, comme le disait encore récemment W. Stærk, Zum Ebed J ahweProblem, dans Zeilschrijt fur die alttestamentiche Wissenschaft, 1926, p. 243, une des aberrations les plus lamentables qui aient jamais eu lieu dans le domaine exégétique.

De la sainteté extraordinaire du Serviteur, de la tâche si vaste et si sublime qu’il lui appartient d’accomplir au sein de son peuple et dans le monde entier, il ressort qu’il est, de toute évidence, celui sur qui les prophètes ont souvent concentré leurs espérances eschatologiques : le Messie. Cependant un bon nombre d’exégètes modernes ne veulent pas identifier le Serviteur et le Messie. Us s’y refusent parce que le prophète, en employant souvent le parfait, semble placer les souffrances du Serviteur dans le passé. Ils croient devoir en conclure que le Serviviteur est un personnage qui a vécu avant le prophète, ou qui vient de mourir après avoir été son contemporain. Cet argument est loin d’être décisif. D’abord, bien des fois dans la littérature prophétique, leperfeclum prophelicum est employé pour décrire par anticipation un événement futur, xlviii, 20-21 ; Ps., ii, 7 sq. ; voir d’autres exemples chez J. Fischer, Wer ist der Ebed ? 1922, p. 60 sq. ; mais, de plus, dans les chants du Serviteur, surtout dans le quatrième, le point <J, e vue auquel le prophète se place pour décrire l’œuvre du Serviteur est tantôt celui de l’avenir, de sorte qu’il présente le Serviteur comme une figure du passé, tantôt celui du présent quand il parle du Serviteur comme d’un personnage dont l’arrivée est attendue. I.e prophète passe parfois de l’un à l’autre : ainsi, i.iii, 10-11, il décrit même la passion du Serviteur comme future, tandis que d’ordinaire il la suppose terminée, voir Feldmann, Der Knecht Gottes in Isaias Cap. 40-55, 1907, p. 188 sq., et surtout Fischer, Wer ist der Ebed ? p. 61 sq. C’est en vain que W. Rudolph, Der exilische Messias, dans Zeitschrifl fur die A. T. Wissenschaft, 1925, p. 90-114, a essayé d’affaiblir sous ce rapport l’argumentation de Fischer. Une année après, W. Stærk l’a réfuté dans la même revue, p. 242-260, et, particulièrement au sujet de VEbed du quatrième chant, est arrivé à la conclusion, sans doute exagérée, que les indications chronologiques à son sujet sont tellement vagues qu’on ne sait pas si le prophète a voulu dire : le Serviteur a déjà existé, ou il existe encore, ou bien il existera, p. 260. Il s’ensuit que les temps de verbe employés

par le prophète sont tout à fait favorables à l’interprétation messianique.

Celle-ci s’impose donc logiquement à quiconque n’est pas partisan de l’explication qui voit dans le Ebed une collectivité. Aussi ceux qui s’y refusent se livrent-ils à de vrais tours de force, plus fantaisistes l’un que l’autre. Successivement on a voulu voir dans le Serviteur : Moïse, David, Ozias, Ézéchias, Jéchonias, Zorobabel, Isaïe, Jérémie ou un des personnages inconnus de différentes périodes. Un seul et même auteur, Sellin, a même changé trois fois d’avis sur ce point. En 1896 le Serviteur était pour lui Zorobabel, en 1901 Jéchonias, en 1922 Moïse. L’hypothèse la plus intelligible est encore celle des critiques qui prennent le Serviteur pour un contemporain du prophète, auquel celui-ci aurait conféré la dignité de Messie. Elle est identique à l’interprétation donnée par quelques exégètes des psaumes strictement messianiques.

Il faut donc maintenir que le Serviteur est le Messie. Ce n’est qu’à lui que le rôle de libérateur d’Israël et de législateur des païens a pu être attribué. De même que, dans la première partie du livre d’Isaïe, le Messie est présenté comme Sauveur au milieu du danger assyrien, ainsi, dans la seconde partie, il est donné comme un second Messie qui, à la fin de l’exil, reconduira son peuple en Palestine et l’y rétablira. D’autre part le Messie apparaît ici sous un aspect tout nouveau. Il n’est pas décrit comme un prince davidique qui établit le royaume de Dieu en conquérant irrésistible, mais comme un homme éminemment saint et sage, contredit et persécuté, qui souffre et meurt pour expier les crimes de ses frères et accomplit ainsi le salut. Par ces quatre chants un élément est introduit dans le messianisme qui était jusqu’ici complètement inconnu, et qui diffère beaucoup de toutes les conceptions rendues familières par les autres prophéties.

Cette différence se fait particulièrement sentir quand on compare les oracles de ces quatre chants avec ceux du contexte ; car, ainsi que nous l’avons déjà relevé, d’après ces derniers le salut ne s’accomplira pas seulement avec rapidité et sans obstacle, mais aussi uniquement par Jahvé, à tel point qu’il ne semble pas y avoir de place pour un Messie médiateur. Il s’ensuit que les quatre chants n’ont pas toujours fait partie d’Is. xl-lv. Bien que tous ceux qui identifient le Serviteur avec Israël, prétendent, pour soutenir leur thèse, que ces quatre morceaux sont des parties intégrantes et primitives du DcutéroIsaïe, et que des exégètes catholiques, notamment les PP. Condamin et Hontheim et M. van Iloonacker, aient entrepris de le prouver par les règles de la métrique hébraïque, il paraît difficile de les maintenir dans le texte original. Existaient-ils au moment où les prophéties de xl-lv furent composées, ou prirent-ils naissance seulement après coup ? on ne saurait le dire ; mais il n’y a aucune nécessité de supposer deux auteurs différents pour les deux groupes de textes.

Tel est le messianisme de la seconde partie d’Isaïe. Les problèmes en sont aussi difficiles que les idées sublimes. S. A. Cook, The Cambridge ancien ! History, 1925, t. iii, p. 489, a écrit de ces chapitres qu’ils contiennent la partie la plus profonde de tout l’Ancien Testament, et que les quatre chants sur le Serviteur de Jahvé en représentent le point culminant. Ce jugement est l’exacte expression de la vérité..

2° Les chapitres XIII-XIV, xxxi r-.v.v.vr. — Aux chapitres xl-lv du livre d’Isaïe il faut rattacher deux morceaux qui les précèdent : xiii-xiv, 23, et xxxiv-xxxv. Ils reflètent la même situation et sont animés du même esprit que les chapitres xl-lv. Par rapport à leur contenu messianique, ils se rangent