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M YSTIQUE, EXPLICATIONS PATHOLOGIQUES


concessions : distinguant « l’état mystique supérieur (qui) se présente partout comme une intuition du divin, ou du moins du transcendant » et les états ou phénomènes mystiques inférieurs, qui comprendraient donc tous les phénomènes mystiques qui ne seraient pas cette « intuition » ; ils ne craignent pas de déclarer que « ceux-ci, pour autant qu’on les peut connaître du dehors, semblent de même nature que les manifestations psychologiques normales, et ne se dérobent pas complètement au déterminisme expérimental » : et même, en ce qui concerne l’état mystique supérieur, ils avouent qu’ « à en juger seulement par les descriptions faites et les prétentions émises, cet état, très caractérisé chez les mystiques chrétiens, trouve son analogue, sinon son correspondant exact, en dehors du christianisme et même en dehors de toute foi religieuse ». Maréchal, op. cit., p. 144-145. Et voilà qui rend singulièrement délicat le discernement du « vrai » et du « faux » mysticisme, c’est-à-dire du mysticisme « surnaturel », et du mysticisme purement naturel.

1° Explications pathologiques des phénomènes mystiques. — 1. Exposé. — « La similitude apparente des consolations et des craintes produites par les convictions religieuses avec les joies et les tristesses nées de l’autosuggestion et des idées fixes, l’analogie des extases, visions, révélations, stigmatisations et guérisons subites, que les théologiens qualifient de « surnaturelles », avec certains faits observés chez les aliénés et les névropathes, semblaient autoriser des comparaisons entre ces phénomènes et appeler des expériences méthodiques. Ces expériences parurent décisives » à certains médecins ou psychologues. Pinard, op. cit., 1. 1, p. 412-413. On trouvera dans M. de Montmorand l’exposé et la critique des principaux systèmes d’explication pathologique des phénomènes mystiques. Les deux maladies auxquelles on se réfère surtout sont l’hystérie et la psychasthénie ; cf. Leuba, Psychologie du mysticisme religieux, c. viii, Les grands mystiques et l’hystérie et la neurasthénie. « Dire que les mystiques se recrutent en majorité parmi les femmes (c’est l’opinion soutenue ici par M. de Montmorand), c’est dire qu’ils appartiennent en majorité à la catégorie des nerveux. J’ajoute qu’ils sont, en général, de santé débile, et qu’ils présentent des symptômes pathologiques se rattachant, soit à des maladies connues, soit à des maladies mystérieuses et mal définies : le genre de vie qu’ils mènent, les mortifications de toute sorte qu’ils s’imposent ne sont pas, du reste, pour les guérir. » Montmorand, op. cit., p. 12. Pour Murisier et Lierre Janet, les mystiques seraient des abouliques incapables de s’unifier autrement que par une simplification pathologique, cf. Montmorand, p. 92-93 ; pour Max Nordau, des dégénérés, caractérisés par une « hyperexcitabilité maladive de quelques centres cérébraux ». Ibid., p. 50-51. Les visions et les paroles « surnaturelles » ne seraient que des hallucinations pathologiques, provenant « d’une déficience de l’attention volontaire, ou, plus exactement, de la substitution d’un mode particulier de l’attention automatique à l’attention volontaire devenue impossible ». Ibid., p. 125. « Qu’un grand nombre de mystiques aient accusé d’indéniables symptômes d’hystérie, le fait est hors de conteste. A telles enseignes que l’on observe chez eux les indices d’un dédoublement plus ou moins marqué de la personnalité… Les mêmes symptômes de dissociation se manifestent (lie/, nos sujets sous la forme graphique… Et, chez quelques-uns, les phénomènes d’automatisme graphique atteignent leurmaximum « le développement », ibid., p. 133, Montmorand cite Mme Guyon ; on pourrait mentionner saint Paul de la Croix, cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1925, p. 30.

L’extase, enfin, où l’on veut voir le phénomène mystique par excellence, reconnaîtrait aussi une origine pathologique, de quelque manière d’ailleurs qu’on essaie de l’expliquer, cf. Montmorand, p. 163-199. La théorie exposée par Leuba aux chapitres ix et x de sa Psychologie du mysticisme religieux, en faisant de l’extase l’essence même du mysticisme, et en ne voyant dans l’extase qu’une « tempête psychique » provoquée par une « décharge nerveuse », analogue à l’aura épileptique, se classe bien aussi parmi les explications pathologiques ; cf. particulièrement p. 318320 ; pour l’appréciation du livre de Leuba, voir Revue d’ascétique et de mystique, 1926, p. 74-91 (J. Maréchal) ; pour la question générale du mysticisme et de ses explications pathologiques : L. Roure, Études, 20 juillet 1906, p. 145-170 ; J. Pacheu, L’expérience mystique et l’activité subconscienle, c. vi, Morbides ou non ?

2. Discussion. — Il n’est pas très difficile de répondre à toutes ces théories. Pour qu’elles fussent vraies, il faudrait que tous les vrais mystiques eussent été des malades, et surtout que tous les phénomènes mystiques pussent être rattachés à leur maladie comme à leur cause nécessaire et suffisante.

Or, il s’en faut de beaucoup qu’on puisse dire que tous les mystiques ont été des malades. Un témoin bien placé pour en parler, qui nous livre ses « observations et remarques » dans la Revue d’ascétique et de mystique, sous la signature P. S., écrit : » Un préjugé fort répandu veut que les mystiques soient presque toujours des femmes, des religieuses, des religieuses contemplatives, certains diraient des névrosées. C’est inexact. Parmi les âmes qui m’ont paru nettement favorisées d’une oraison mystique, il y a deux hommes appartenant à un ordre actif, et j’ajoute : bien portants tous les deux. Deux autres personnes élevées, non seulement à la contemplation passive extraordinaire, mais à un haut degré d’union mystique avec Dieu, sont mères de famille. Et croyez bien que toutes ces âmes dont je viens de parler ne sont nullement des natures diminuées quant à l’intelligence eu quant à la volonté. Ce sont des vaillants et des apôtres, aussi dévoués au prochain qu’intérieurement unis à Dieu. » Loc. cit., 1920, p. 278-279.

Les psychologues, même incroyants, établissent une différence bien tranchée entre nos mystiques supérieurs et les sujets d’hôpital, en qui ils observent des états analogues sur quelques points avec certains phénomènes présentés par nos mystiques. A cela revient la distinction opérée entre les grands mystiques et les mystici minores. Tout le livre de M. Delacroix, Études d’histoire et de psychologie du mysticisme, « est fondé sur cette distinction ». Montmorand, p. 201. « Les mystiques inférieurs sont de purs névrosés, des hystériques à tournure d’esprit religieuse… Les grands mystiques, eux aussi, sont des névrosés ; mais leur état mental est indépendant de leur névrose, à peu près comme le génie est indépendant des étals nevropathiques qui le compliquent parfois. Montmorand, p. 203, citant Delacroix. Mêmes remarques dans le c. viii susmentionné de Leuba. Sur la maladie de sainte Thérèse, cf. Montmorand. Appendice IV, p. 232 21 l.

Admettrait-on même que les grands mystiques lurent tous plus ou moins malades, il faudrait encore prouver que les phénomènes mystiques qu’ils ont présentés s’expliquent, et ne s’expliquent que par leur maladie, sous peine de tomber dans le sophisme cum hoc ergo propter hoc

Or, même en faisant abstraction de l’intervention divine, tous les psychologues n’admettent pas l’origine

pathologique des phénomènes mystiques où. l’on serait le plus porté à la reconnaître. Ne voir, par exemple,