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MYSTIQUE, DESCRIPTION, S. JEAN DE LA CROIX


découvert ce qu’elle a deviné caché sous cette présence. » C, str. xi, p. 69. Enfin, saint Jean de la Croix connaît d’autres sentiments de la présence de Dieu moins vifs, soit chez les parfaits, soit même « en d’autres âmes qui n’ont pas atteint cette union », cf. F., 4’str., vers 2, p. 249-250.

b) La connaissance ou sagesse mystique. C’est « une très haute et très savoureuse connaissance de Dieu et de ses perfections ; elle éclaire l’entendement par suite du contact de ces perfections avec la substance de l’âme. » C, str. xiv, p. 96. Notons d’abord ses qualités, sa forme ; nous dirons ensuite son objet. « Cette très subtile et délicate connaissance entre dans le plus intime de la substance de l’âme, accompagnée d’une saveur et d’une délectation auxquelles rien ne peut être comparé. Et d’où cela vient-il ? De ce que la connaissance » entendue » est de la pure « substance dépouillée d’accidents et d’images. » Ibid., p. 97. « Elle reste obscure, parce qu’il s’agit de contemplation. » P. 98. Saint Jean de la Croix la nomme encore « abyssale », str. xv, p. 101. Pourtant « il s’agit d’une demi-obscurité déjà pénétrée des premières lueurs du matin. » P. 102. La connaissance mystique est aussi essentiellement générale. l’esprit parfait « ne se plaît plus à des opinions particulières sur les choses de la terre ou du ciel, ne fait plus de théories sur leurs manières d’être, il se trouve absorbé dans un abîme de connaissances divines ». P. 103. Et c’est pourquoi elle est absolument ineffable : l’âme « ne saurait trouver ni mode, ni manière, ni comparaison pour faire connaître une connaissance si élevée un sentiment spirituel si délicat. » M., t. II, c. xvii, p. 113. A vrai dire, c’est donc plutôt un sentiment qu’une connaissance, ou c’est une connaissance par sentiment.

Son objet premier, c’est l’immensité et l’incompréhensibilité de Dieu, ou plutôt c’est l’Être infini de Dieu ; c’est « un je ne sais quoi » que l’on sent, mais que l’on ne peut étreindre : « connaissance extrêmement élevée, à la fois intellectuelle et sensible, de la majesté et de la grandeur de l’être de Dieu. Ce sentiment de Dieu est si extraordinaire que l’âme ne perçoit clairement qu’une chose, c’est que tout reste à comprendre ; et cette façon de percevoir et de sentir l’immensité de Dieu dont on ne peut atteindre les limites, est en elle-même une connaissance extrêmement élevée… Cette perception a quelque similitude avec celle des élus… A mon avis, cette vérité pour être comprise doit avoir été expérimentée ; et c’est pourquoi l’âme, favorisée ici par une connaissance et un sentiment extrêmement profonds, perçoit en même temps l’infini incompréhensible et l’appelle un je ne sais quoi. » C, str. vii, p. 55-56.

A y regarder de près, ne semble-t-il pas que cette connaissance mystique se ramène à deux éléments : un sentiment et une idée, l’idée de l’incompréhensibilité divine, et qu’en définitive saint J.ean de la Croix rejoigne l’Aréopagite ? Théologie négative et paradoxe de la connaissance par inconnaissance se retrouvent ici. « Ces perfections (divines) étant inconnues à la science humaine, il faut marcher vers elles humainement par non-savoir, divinement en ignorant. » N., t. II, c. xvii, p. 115. « Du fait même que cette lumière spirituelle est si simple, pure, générale, détachée de tout intelligible particulier, naturel ou divin…. il résulte que sans limite et avec grande facilité, l’âme pénètre et connaît tout ce qui se présente, que ce soit du ciel ou de la terre… Ne goûtant rien, ne comprenant rien en particulier, se tenant dans le vide, l’obscurité et les ténèbres, il (l’esprit purifié et anéanti selon les affections et connaissances particulières ) se trouve disposé à tout pénétrer, réalisant ainsi mystiquement en lui la parole de saint Paul : nihil

habentes et omnia possidenles. Une telle béatitude, était due à une telle pauvreté d’esprit. » N., t. II, c. viii, p. 79.

Ainsi, ce n’est pas seulement Dieu en son infinité que la « très haute lumière divine » de la « théologie mystique » fait percevoir et sentir à l’âme dénudée ; elle « en arrive à posséder un sentiment et une connaissance de Dieu à la fois généraux et savoureux, s’étendant à toutes les choses divines et humaines ». Ibid., c. ix, p. 82. Elle acquiert aune façon nouvelle de considérer les choses », un « sens divin tellement différent de toute conception naturelle qu’elle se figure marcher hors de soi. D’autres fois elle se demandera si ce qui se passe en elle n’est pas le fait d’un enchantement ou d’une torpeur d’esprit, car ce qu’elle voit et entend l’émerveille ; tout lui paraît nouveau et inconnu, bien que ces choses soient les mêmes que celles dont elle s’occupait autrefois. » Ibid., p. 82-83. Elle possède maintenant « l’intelligence des choses d’après la lumière divine ». P. 81.

Le Cantique et la Vive flamme nous décrivent toutes les splendeurs qui se révèlent à l’âme au cours de la vie mystique : « elle participe à des secrets, à des connaissances divines merveilleuses, » C, str. xiv, p. 91 ; elle « voit en Dieu de grandes et admirables beautés, puisqu’elle reçoit des connaissances surprenantes et sans rapport avec le savoir ordinaire, » p. 92 ; « les voies de Dieu, ses desseins et ses œuvres sont, à notre point de vue (humain), d’admirables merveilles, » où les saints anges et les élus « ne cesseront de découvrir des beautés nouvelles, » p. 93 ; or elles sont aussi l’objet de la connaissance mystique. L’âme « se délecte à contempler la sagesse de Dieu manifestée par l’harmonie des créatures et par les effets de l’activité divine, » p. 91, mais surtout « elle’expérimente » que Dieu est tout et que tout est Dieu ; elle voit tout en Dieu et Dieu en tout. » P. 91-92. Cf. str. xv, p. 103104. Il lui est donné aussi de contempler « l’abîme de délices et de richesses qu’il a créé en elle. » Str. xx, p. 135.

La Vive flamme renchérit encore sur la richesse de la connaissance mystique : non seulement l’âme voit toutes choses en Dieu, 4e str., vers 1 et 2, p. 244 ; non seulement elle « aperçoit distinctement en Lui toutes ses vertus et grandeurs », 3e str., vers 1, p. 193 ; mais elle entrevoit « son être tel qu’il est » : -< voici comment je crois pouvoir expliquer ce réveil et cette vision de l’âme. Comme l’âme est substantiellement en Dieu, de même que toute créature, il enlève pour elle quelques-uns des nombreux voiles et rideaux qui le dérobent à l’âme, afin qu’elle puisse voir son être tel qu’il est. Alors, bien qu’obscurément et par transparence, l’âme voit quelque chose — car jamais tous lés voiles ne sont enlevés — de sa figure pleine de grâces, et, comme Dieu meut toutes choses par sa vertu, elle distingue en même temps que son Être, ce qu’il fait, et il paraît se mouvoir en elles et elles en Lui, en un mouvement ininterrompu. » 4e str., vers 1 et 2, p. 245. Cf. Baruzi, op. cit., p. 694-695.

c) L’amour mystique. — Il est plus ordinaire d’éprouver la touche d’amour dans la volonté, plutôt que la touche de l’intelligence dans l’entendement. N., t. II, c. xiii, p. 97.

L’amour sera donc l’élément le plus constant de l’état mystique. Ce qui le caractérise essentiellement c’est sa passivité. Il est à la lettre « passion d’amour ». Cet amour passif n’atteint pas directement la volonté ; cette faculté est libre, et l’embrasement d’amour est plus passion d’amour qu’acte libre de la volonté… La volonté devient ainsi ctptive et perd sa liberté ; la force et l’impétuosité de la passion l’emportent à leur suite. » Ibid., cf. c.xii, p. 90.

Saint Jean de la Croix distingue cette passion