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MYSTIQUE, DESCRIPTION, S. JEAN DE LA CROIX


intérieures « substantielles », c’est-à-dire qui « opèrent substantiellement dans l’âme ce qu’elles énoncent, » et les « sentiments spirituels qui agissent sur l’entendement, » ne reconnaissent qu’une origine divine, M., t. II, c. xxii, xxiv, xxix, xxx, 1. 1, p. 174-177, 182, 185, 205-206, 208-209.

Mais précisément tous ces phénomènes certainement divins se distinguent-ils de la contemplation mystique ? Il ne le semble pas. Regardons-y de près. Les « visions de substances immatérielles, telles que l’Être divin, les anges et les âmes, ne sont pas propres à la vie d’ici-bas, et ne peuvent favoriser un mortel… si ce n’est par exception. » M., t. II, c. xxii, 1. 1, p. 175176. « Ces manifestations de la substance divine, dont furent favorisés saint Paul, Moïse et Élie… toujours fugitives, sont extrêmement rares, au point qu’on les constate à peine dans l’histoire… D’après la loi ordinaire, ces visions de substances spirituelles ne peuvent être reçues en cette vie de façon claire et nette par l’entendement ; leur perception est d’une autre nature, elle se fait sentir dans la substance de l’âme par une connaissance d’amour, par des louches et rapprochements très suaves, et cela les fait entrer dans la catégorie des sentiments spirituels. » Ibid., p. 177. Saint Jean de la Croix déclare formellement qu’il s’agit là de la « connaissance mystique obscure et confuse ».

De ce texte on peut conclure encore que les « sentiments spirituels » ressortissent aussi à la connaisance mystique : ils en sont la source ; cf. M., t. II, c. xxx, t. i, p. 208-209. Enfin les « vérités pures données à l’entendement » par « révélation », quand elles se rapportent à Dieu, ne sont pas autre chose que la connaissance mystique : « ces notions divines, au sujet de Dieu, ignorent les particularités… Ces hautes notions d’amour ne sont du reste accessibles qu’à l’âme en état d’union avec Dieu ; elles sont cette union même, car elles proviennent précisément de certaine touche de l’âme dans la divinité. Ainsi c’est Dieu même qui est senti et goûté. » M., t. II, c. xxiv, t. i, p. 183. D’autre part, l’auteur déclare que cette i connaissance des vérités pures » cette « façon de comprendre et de voir par l’intelligence des vérités concernant Dieu et les créatures, et cela au-dessus de ce qui est, a été et sera… est en connexion avec l’esprit de prophétie. » Ibid., p. 182.

Pour analyser et définir exactement la contemplation mystique selon saint Jean de la Croix, nous envisagerons successivement ses conditions, la manière dont elle se produit, et ce qu’elle nous apporte.

1. Les conditions de la contemplation mystique. — a) La nudité des sens et de l’esprit. — C’est la condition sine qua non.

Notre théoricien de la connaissance mystique, fidèle disciple de l’Aréopagite, l’aflirme en cent endroits avec une vigueur et une rigueur absolue. « L’âme doit se vider, complètement et volontairement, de tout ce qu’elle peut s’assimiler, que cela vienne d’en haut ou d’en bas… C’est là son action à elle… Il faut qu’elle reste dans l’obscurité comme un aveugle…, sans chercher un appui en aucune des choses qu’elle comprend, goûte, sent ou imagine… Pour s’unir à Dieu dès cette vie, selon la grâce et l’amour parfait, il faut l’obscurité complète vis-à-vis de tout ce qui peut entier par l’œil, ou être perçu par l’oreille, ou enfanté par l’imagination, ou compris par le cœur qui figure ici l’âme. » M., t. II, c. iii, t. i, p. 64-65 Au chapitre de la « purification de la mémoire », saint Jean fait pourtant une restriction, mais elle est plus apparente que réelle : « je veux bien qu’on retienne ce qui se rapporte uniquement à Dieu, ce qui peut favoriser sa connaissance cenfuse, universelle, pure, simple. » M., t. III, c. ii, t. ii, ]). 13. Nous avons déjà indiqué la raison qui motive, qui exige pareille destruction de

toute connaissance distincte, pareil « anéantissement », c’est la disproportion qui existe entre notre entendement et l’immensité divine ; aucune conception finie ne peut renfermer l’Infini. Supprimez au contraire tout ce qui détermine, donc limite, votre connaissance, de manière à ce qu’elle deviennent connaissance pure, connaissance absolue, la disproportion n’existe plus. « Délaisser ces divers modes de savoir et passer au non-savoir, voilà ce qu’il faut pratiquer… C’est passer au terme et laisser le moyen, c’est entrer en ce qui n’est point moyen et qui est Dieu. En effet, en y arrivant, l’âme n’a plus ni mode, ni façons d’agir, et ne saurait s’y attacher… Après avoir eu le courage de franchir sa limite naturelle, à l’intérieur et à l’extérieur, elle entre dans le surnaturel illimité, qui n’a aucun mode, en possédant en substance tous les modes. » M., t. II, c. iv, t. i, p. 66.

Saint Jean de la Croix emprunte à diverses philosophies l’explication de cette capacité de saisir l’Infini, que nous confère le dénuement parfait de toute connaissance distincte. Tantôt il parlera d’ « intelligence pure qui est libre du temps », M., t. II, c. xii, t. i, p. 112 ; ou « du pur esprit qui ignore l’enchaînement discursif », N., t. I, c. ix, p. 33 ; tantôt, suivant les traces de Tauler, il fera appel à « l’intellect possible ou passif qui se passe de formes, qui reçoit passivement la connaissance substantielle et nue, sans que l’âme y fasse concourir quelque chose de son activité. » C, str. xxxix, p. 236. Cf. Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, p. 474, 550 ; Hugueny, La doctrine mystique de Tauler, dans Revue des sciences phil. et théol., 1921, p. 199.

L’efficacité du parfait dénuement de l’esprit paraît infaillible : plus l’âme se vide, plus Dieu la remplit : « Aussitôt que l’âme parvient à se purifier soigneusement des formes et images saisissables, elle baignera dans cette pure et simple lumière, et en s’y transformant atteindra l’état de perfection. En effet cette lumière n’est jamais absente de l’âme ; ce qui fait obstacle à son infusion, ce sont les formes, les voiles des créatures, qui enveloppent et embarrassent l’âme. Enlevez ces formes, déchirez entièrement ces voiles, faites en sorte que l’âme soit établie dans la pure nudité et pauvreté de l’esprit, aussitôt celle-ci, devenue pure et simple, se transformera dans la simple et pure Sagesse divine, qui est le Fils de Dieu. Car alors le naturel étant exclu de l’âme déjà pleine d’amour, le Divin est infusé sur-le-champ naturellement et surnaturellement, pour qu’il n’y ait pas de vide dans la nature. » M., t. II, c. xiii, 1. 1, p. 116-117. Cf. c. iv, p. 68-71. « Cette action divine s’accomplit aussi sûrement que celle du soleil qui envoie ses rayons sur un espace ouvert, quand rien n’y fait obstacle. Et de même que le soleil, dès l’aurore, est prêt à entrer dans votre chambre, si vous voulez bien lui ouvrir les volets, ainsi Dieu… entrera dans l’âme vide et la remplira de biens divins. » F., 3 « str., vers 3, p. 218. Cf. Baruzi, op. cit., p. 467, 401.

b) La foi. — Pourtant la nudité de l’esprit n’est encore que la condition négative de la contemplation mystique ; c’est la foi qui en est le véritable « moyen ». Non pas la foi qui meuble notre entendement de connaissances distinctes ; non pas a fortiori la théologie, qui applique « la force de l’intelligence à ce qui est révélé surnaturellement », ilL, t. II, c. xxvii, t. i, p. 199 ; mais la foi pure, obscure, abyssale, par laquelle, à travers les vérités révélées, nous atteignons, nous possédons Dieu lui-même, qui est la substance de la foi. « Cette foi seule est le moyen prochain et proportionné qui peut unir l’âme à Dieu… C’est bien ce que saint Paul exprime… quand il dit : que celui qui veut s’unir à Dieu commence par croire. Cela veut dire : qu’il aille par le chemin de la