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MORT (PEINE DE)


vidus, il déclara à son tour l’inutilité de la peine de mort. D’autre part plusieurs avec Spedalieri (17411795) ajoutent que, selon la doctrine du Contrat Social, l’autorité n’a que les droits que lui transmettent les citoyens. Or ceux-ci n’ont de droit ni sur leur propre vie ni sur celle des autres.

En France, Charles Lucas (1803-188 ;)), criminaliste et inspecteur des prisons, soutient la même thèse dans son livre : Du système pénal en général et de la peine de mort en particulier (1827). Il estime en effet que la société, pas plus que l’individu, n’a de droit sur la vie du prochain, et que la peine de mort n’est plus un acte de légitime défense, lorsque le malfaiteur est, pieds et poings liés, à la disposition des juges. Elle n’est plus qu’un acte de vengeance. Citons pour l’Allemagne le nom de Mittermaier (1787-18C7), professeur à Heidelberg, dont l’ouvrage intitulé : De la peine de mort d’après les travaux de la science, les progrès de la législation et les résultats de l’expérience, a été traduit dans presque tous les pays d’Europe.

Nous ne pouvons signaler ici que quelques noms et quelques ouvrages, car la liste des études parues au xixe siècle en faveur de l’abolition de la peine de mort est presque indéfinie. On la trouvera dans un article publié par Hello dans la Revue critique de législation et de jurisprudence, 18(37, t. xxxi, p. 322 sq. Elle ne comprend pas moins de dix pages sous la rubrique : Relevé présentant par ordre chronologique, pour les divers pays de l’Europe, la désignation des personnes ou des associations, qui ont pris la part la plus notable au mouvement abolilionniste de la peine de mort, dans les travaux de la science, les débats des assemblées législatives et dans les actes des gouvernements.

Les résultats de cette campagne ont été de faire supprimer la peine de mort dans un certain nombre de petits pays (dont plusieurs depuis ont été contraints de la rétablir). Mais à côté de cette suppression totale et absolue, que vise son enquête, Hello fait remarquer qu’en France a eu lieu une suppression partielle et relative. Sous l’influence de Guizot a été abolie la peine de mort en matière politique. C’est lui en effet qui provoqua cette réforme par ses écrits en 1822. Elle ne fut cependant décrétée que sous l’Empire dans la séance du Corps législatif du 9 juillet 18(57.

En terminant son Relevé, Hello détaille la profession des 104 personnes, dont il a signalé les noms. Parmi elles il y a des rois, des ministres, des sénateurs, des députés, des conseillers d’État, des magistrats ; et il ajoute : « Il est regrettable que la réforme abolitionniste de la peine de mort n’ait pas encore trouvé dans la clergé catholique un seul représentant. »

Il y en eut un cependant par la suite. Dans sa réédition du Dictionnaire de théologie de Bergier, l’abbé Le Noir, en 1867, s’élève contre la peine de mort. A la manière d’Auguste Comte, il distingue trois âges en l’humanité. Au premier âge la peine de mort, dit-il, n’existe pas : Dieu met un signe sur le front de Caïn pour empêcher qu’on le tue ; il en va de même pour Lamech. Mais par la suite cette peine s’introduit « en violation du droit naturel » ! Dieu la tolère pour les temps de ténèbres et de tourmente, que Le Noir nomme le deuxième âge « l’âge de la dictature » nécessaire. Cependant « le Christ qui appellera le lever du troisième âge, redira en paraboles la parole du premier ». Alors la peine de mort disparaîtra « devant l’avènement du droit pur, lorsque régnera pleinement le christianisme, qui est l’expression parfaite du droit naturel ». — En attendant elle est un abus, qu’il faut encore subir bien que « la peine de mort ne soit, en utopie philosophique, ni légitime en droit, ni légitime en but ». Dict., t. ix, p. 328. Dans l’espace de vingt colonnes, Le Noir s’évertue à démontrer sa thèse « en utopie ». Il produit des argu DICT. DE THÉOL. CATHOL.

ments fondés sur les erreurs du philosophisme et du Contrat social ; il en appelle à Duns Scot ; il oppose à saint Thomas une censure portée en 1700 par la Convenlio cleri gallicani ; il épilogue sur quelques textes de la sainte Écriture, dont il propose une exégèse vraiment trop tendancieuse et trop subtile ; enfin il élève certaines objections que nous examinerons plus bas. Malgré cela, la position qu’il veut prendre, sans doute sous l’influence des idées courantes à son époque, n’est pas tenable sérieusement même « en utopie philosophique », et a fortiori devant la réalité à laquelle se réfère la doctrine catholique.

IL Légitimité. — L’autorité sociale a-t-elle le droit de condamner un criminel à la peine capitale ? En d’autres termes le commandement divin : Non occides souffre-t-il des exceptions ? Tel est le problème.

Sans nier que le progrès de la civilisation amène un heureux adoucissement dans l’application des peines, même et surtout du dernier supplice — sans nier non plus qu’on ne prendra jamais trop d’informations et de précautions avant de prononcer une sentence de mort, nous devons admettre que l’autorité sociale possède le droit de porter cette sentence.

Quand on a parcouru à travers le maquis de la procédure (la comparaison est de couleur locale), les écrits des abolitionnistes, on s’aperçoit que leurs illusions viennent de deux sources principales : d’une part, sous l’influence de l’utilitarisme, ils regardent la vie corporelle comme le bien suprême et, partant, la fin de la personne humaine ; et d’autre part, à la façon de l’auteur du Contrat social, ils oublient trop souvent que la société est de droit naturel, et possède par conséquent des droits naturels sociaux qui peuvent parfois entrer en conflit avec des droits naturels individuels. Afin de dissiper les confusions, il est nécessaire de recourir aux principes. A leur clarté la légitimité de la peine de mort peut être jugée au regard du droit naturel et au regard du droit positif divin.

Au regard du droit naturel.

La véritable et

ultime source du droit c’est le devoir. On a dit justement : l’homme n’a qu’un droit celui de faire son devoir. Mais le devoir d’un être moral est inscrit dans sa constitution. L’examen de celle-ci en effet nous révèle la fin à laquelle par nature il est destiné, et en vue de laquelle évoluera le progrès de toutes ses énergies.

1. Le droit naturel individuel.

Or l’homme est un animal raisonnable. Il est composé d’une âme et d’un corps, dont toutes les puissances et aptitudes natives sont orientées vers une fin unique : le perfectionnement aussi grand que possible de la personnalité humaine. Ses énergies corporelles et spirituelles sont multiples et diverses. Mais, si elles sont toutes également humaines, elles ne sont pas toutes d’égale excellence pour conduire l’homme à sa fin suprême. — Par ailleurs l’expérience montre que chacune d’elles, à travers les inclinations qui la manifestent, poursuit son but particulier, son bien, sa fin à elle ; et cela parfois avec une telle ardeur, qu’elle semble entreprendre de confisquer a son profit les ressources de l’être tout entier.

De là des exigences impérieuses et opposées capables de créer des conflits et de porter le désordre dans notre monde intérieur. Une discipline est donc requise pour maintenir l’ordre, mettre chaque puissance à son rang et la faire travailler efficacement au progrès de l’ensemble. Cela supposé déterminée une hiérarchie naturelle des énergies, de leurs biens, de leurs fins et partant des devoirs et des droits, qui intéressent leur développement respectif. Cette hiérarchie des biens et des fins d’étape, dont la conquête harmonieuse réalise la fin et le devoir suprêmes, doit nécessairement être observée. C’est pourquoi il arrive qu’en cas de conflit,

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