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MORE (LE BIENHEUREUX THOMAS

Linacre et William Grocyn, dont le premier fut son professeur de grec. Son père, qui désirait faire de lui un légiste, le rappela à Londres, et le plaça dans un des collèges où le droit était enseigné (New Inn, dépendance de Lincoln’s Inn). Il y fut bientôt remarqué ; il fut chargé dès 1501, et pendant trois années de suite, d’un cours à Furnivall’s Inn (autre dépendance de Lincoln’s Inn). Son goût pour les choses religieuses se manifestait en même temps par une série de conférences sur la Cité de Dieu de saint Augustin, qu’il fit, quoique laïc, en l’église de Saint-Laurent (Old Jewry).

Il traversait alors la grande crise spirituelle de sa jeunesse. Vivement attiré par la vie régulière, il songeait à se faire franciscain observant ou chartreux. Il alla même loger pendant quatre ans à la porte de la chartreuse de Londres, afin de partager la vie des moines, et se soumit à une rigoureuse observation de leur règle. Il renonça cependant à prononcer des vœux. Dès 1510 il place très haut l’institution monastique dans sa Vie de Pic de la Mirandole (cf. Bridgett, p. 28, 30) ; et, quant aux pratiques de la vie religieuse, nous savons comment il les jugeait par la règle de dévotion et d’ascétisme, comportant un fréquent usage des sacrements, qu’il observa durant toute sa vie.

Le goût de More pour l’humanisme et son idéal de piété éclairée expliquent son amitié pour Érasme, qui débuta en 1497 et dura jusqu’à sa mort, et pour Jean Colet, doyen de Saint-Paul, dont il fit son confesseur et directeur. En 1504, More fut élu membre du Parlement, et mena l’opposition contre les exactions de Henri VII. En 1508, il épousa Jane Colt, dont il eut quatre enfants, et qui mourut en 1511 ; il se remaria alors avec une veuve, Alice Middleton, qui ne lui donna pas d’enfants, mais fut une mère dévouée pour ceux du premier lit. Cependant il poursuivait brillamment sa carrière d’homme de loi, où son intégrité et son désintéressement le rendaient très populaire.

« Under-Sheriff » de Londres en 1510, « Bencher » à

Lincoln’s Inn, en 1511, il fut remarqué par Henri VIII (monté sur le trône en 1509), qui peu à peu l’attacha à son service, malgré son peu d’empressement à se rapprocher de la cour. Les années suivantes, il fut chargé de diverses fonctions publiques. Envoyé en ambassade dans les Pays-Bas espagnols en 1515, pour le compte des marchands de Londres, il mit à profit les loisirs d’un séjour à Anvers pour commencer son Utopie.

Les premières œuvres littéraires de More remontent à ses années d’Oxford et de Lincoln’s Inn, et sont de petits poèmes anglais ou latins parfois satiriques, parfois aussi d’inspiration pieuse ; puis en 1503 une complainte en vers sur la mort de la reine Élisabeth, A ruful lamentacion. En 1510, il traduisait en anglais une vie latine, écrite en Italie, de Pic de la Mirandole, The life of John Picus Erle of Myrandula, où étaient louées la piété, la vertu, les austérités et la soumission à l’Église du grand humaniste, et à laquelle il ajouta un assez long poème d’édification. La vie de Richard III, The history oj king Richard the thirde, qui suit en ordre de date, remonte à 1513 (Bridgett, p.79) ; nous en possédons un texte anglais et un texte latin ; ce dernier a été parfois attribué au cardinal Morton ('Dict. of nat. biogr., t. xxxviii, p. 445) thèse infirmée par des recherches plus récentes (Delcourt, p. 15). Cependant l’amitié de More et d’Érasme portait ses fruits : en 1505, ils se partagèrent la traduction en latin de plusieurs des Dialogues de Lucien. En 1508, Érasme écrivit dans la maison de son ami son Enecmium Moriæ. En 1515. More prit la défense d’Érasme, dont le Nouveau Testament avait été attaqué par un théologien de Louvain, Martin Dorpius, dans une lettre publique à ce dernier. Il y proclamait, par rapport aux discussions de l’École, la supériorité de l’étude de l’Écriture et des Pères, tant pour l’apologétique chrétienne que pour la prédication morale. Thomæ Mori dissertatio Epistolica de aliquot sui temporis theologastrorum ineptiis…, 1516. Réimprimée dans les Lettres d’Érasme, édition de Londres, 1642, appendice consacré aux lettres de More, p. 14, et dans les Œuvres d’Érasme, éd. Le Clerc, Leyde 1703, t. iii, col. 1892-1916. Dans une autre lettre adressée à un moine, et écrite en 1520 (Bibl. de Lambeth, ms. n° 575, p. 7-9, publiée dans Jortin, Erasmus, Londres, 1808, t. iii, p. 365-393, et Nichols, Bibl. Top. Brit., iv, n° xvii, 1780), More prenait à nouveau fait et cause pour son ami. En 1516, avait paru l’Utopie, dont il est inutile de souligner ici le retentissement, attesté par de nombreuses éditions et traductions. En 1518 enfin, la période d’activité littéraire désintéressée se clôt avec une collection d’épigrammes latines, écrites en collaboration avec Érasme et William Lilly.

Thomas More s’élevait cependant aux plus hautes fonctions publiques. « Maître des Requêtes » (chargé de l’examen des pétitions au roi) en 1518, puis secrétaire de Henri VIII, il était aussi admis au Conseil Privé. En avril 1518, il prenait à Oxford la défense des études grecques contre le parti anti-humaniste dit des « Troyens ». En 1520, au camp du Drap d’or, il fit la connaissance de Guillaume Budée. Puis il fut fait en 1521 chevalier et vice-trésorier ; en 1523, speaker de la Chambre des Communes ; en 1525, chancelier du duché de Lancastre. Après avoir pris part à trois nouvelles ambassades en France et dans les Flandres (1521-27-29), il était enfin élevé le 25 octobre 1529, à la dignité de chancelier du royaume, sans l’avoir ni désiré ni sollicité.

Les événements religieux qui se déroulaient alors en Europe continentale, avaient orienté son activité littéraire dans une nouvelle direction. En 1523, Henri VIII répondait au De captivitate Babylonica de Luther par son Assertio septem sacramentorum, parfois attribuée à Jean Fisher, dont More établit seulement l’index. Mais Luther ayant répliqué par un grossier libelle, Contra Henricum regem Angliæ, More fut sollicité de prendre la suite de la controverse, et écrivit sous le pseudonyme de Gulielmus Rosseus sa Responsio cd convitia Martini Lutheri (1523). IJ y reproche surtout à Luther d’opposer son jugement privé à celui de l’Église tout entière. En 1526, il attaqua le luthérien allemand Jean Bugenhagen dans son Epistola contra Pomeranum, publiée seulement en 1568 à Louvain. Puis vient la série des grands ouvrages de controverse contre les hérétiques anglais. Le-Dialogue sur les hérésies, A Dialogue… Wherin be treatyd diuers maters, dont nous résumons plus bas l’essentiel, fut composé en 1528, mais ne fut publié qu’en juin 1529. Entre temps avait paru un violent libelle, dû à un certain Simon Fish, et intitulé « La supplication des mendiants », The supplication of beggars. L’auteur y demandait que les biens d’Église, et notamment les fondations pieuses de tout ordre, fussent confisquées et consacrées à des œuvres d’assistance. More répondit par « La supplication des âmes », The supplication of soules, publiée en 1529, dans laquelle il justifie l’existence de toutes les fondations destinées à obtenir des prières pour les âmes du Purgatoire ; ce qui l’amène à démontrer, par la révélation comme par la raison, l’existence du Purgatoire.

Cependant la situation religieuse de l’Angleterre se modifiait rapidement, par suite des projets de divorce de Henri VIII. Le roi désirait vivement s’assurer l’appui de More, mais, ayant sollicité son opinion dès septembre 1527, il n’obtint de lui qu’une réponse défavorable. More se retrancha ensuite dans un silence plein de dignité, refusant de se mêler au débat de