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MORALITÉ DE L’ACTE HUMAIN


phonse, et la plupart se contentent-ils d’exiger, pour la moralité d’un acte qui est bon de sa nature, une relation implicite à Dieu, que certains appellent relation objective ou naturelle : il suffit donc que la volonté se porte à telle action parce qu’elle est bonne, sans y mêler aucune circonstance, aucune fin qui puisse en vicier la nature. On ne voit pas, en effet, sur quoi l’on pourrait se fonder pour exiger que nous rapportions explicitement tous nos actes à Dieu, par une relation soit actuelle, soit virtuelle. Dieu est la fin dernière absolue ; toute action morale doit tendre vers Dieu, fin dernière. Mais par le fait même qu’elle est moralement bonne, l’action se rapporte à Dieu ; celui qui agit bien, accomplit un acte qui, par sa nature, est en relation avec la fin dernière, il obéit à la règle prochaine de la moralité, à sa raison, et implicitement à la règle dernière, à Dieu. Pour qu’une relation explicite, actuelle ou virtuelle, soit exigée, il faudrait donc qu’il y ait, sur ce point, une disposition positive de Dieu. Or Dieu n’a pas manifesté la volonté..de nous imposer une telle obligation. On a invoqué le texte de saint Paul, I Cor., x, 31 : Sive manducatis, sive bibitis, sive aliud quid facitis, omnia in gloriam Dei facile. Ceux qui, à la suite de saint Thomas et de saint Alphonse, voient dans ces paroles un précepte. , ne l’entendent pas dans le sens d’une relation explicite, mais implicite seulement et objective, relation qui existe par le fait même que l’on suit les préceptes d’une raison droite et bien formée. Suggero remedium, écrit saint Augustin, unde Iota die laudes Deum, si vis : quidquid egeris, bene âge, et laudasti Deum… Cessasti ab hymno cantando, discedis ut reficiaris ? Noli ebriari et laudasti Deum. Discedis ut dormias ? Noli sur gère ad maie faciendum et laudasti Deum. Negotium agis ? Noli fraudem facere, et laudasti Deum. Agrum colis ? Noli lilem movere, et laudasti Deum. In ps. XXXiv, serm. ii, n. 16, P. L. t. xxxvi, col. 341. Ainsi comprise, l’obligation de rapporter nos actes à Dieu n’a rien d’onéreux pour le fidèle. Qu’il soit mieuxlde chercher à ; agir toujours virtuellement, et même, si nous le pouvons, actuellement, par soumission à Dieu et par amour pour lui, cela est évident ; mais là n’est pas la question, puisqu’il s’agit simplement de savoir ce qui peut rendre nos actes bons ou mauvais.

IV. Moralité particulière de l’acte externe. — On s’est demandé si, en dehors de l’objet, des circonstances et de la fin/un quatrième élément n’intervenait pas dans la moralité de l’acte humain : l’exécution de l’acte efficacement voulu par la volonté.

Notons bien qu’il s’agit ici uniquement de la simple exécution d’un acte voulu efficacement par la volonté, de telle sorte que l’acte doive s’accomplir, si n’intervient pas un obstacle indépendant de la volonté. Il est certain, et ce point n’est pas discuté, que per accidens l’accomplissement de l’acte impéré par la volonté ajoute souvent à la bonté ou à la malice de l’acte interne, soit parce qu’en agissant la volonté s’attache à son objet avec plus de force et d’intensité, soit parce qu’elle se maintient plus longuement dans le mal ou dans le bien, soit parce que, si la réalisation demande un certain temps, l’acte de volonté peut être renouvelé à plusieurs reprises et que ce renouvellement du consentement peut parfois constituer des actes humains distincts, soit enfin en raison de l’édification ou du scandale qui peuvent résulter de l’acte lui-même. La bonté et la malice de l’acte humain dépendent de la volonté, puisqu’il n’y a r pas acte moral sans liberté ; on conçoit donc que, dans ces différents cas, la bonté ou la malice de l’acte humain puissent être augmentées.

Mais si l’on fait abstraction de cette influence accidentelle, on peut dire que par lui-même l’acte

dict. de théol. cathol.

externe n’ajoute rien à la moralité de l’acte interne, qu’il ne le rend ni meilleur ni pire. Telle est du moins l’opinion de saint Thomas, I a - 1 1 30, q. xx, a. 4, et de tous les thomistes, de saint Alphonse, Theol. mor., 1. V., n. 4, et de la plupart des théologiens, dont se séparent seulement Scot, In II am, dist. XLII, q. iv, n. 2, et ses disciples. Et en effet, la condition essentielle de l’acte moral, c’est la liberté. Ce qui n’a pas en soi une liberté propre et distincte, n’a pas non plus de moralité propre et distincte. Or il en est ainsi de l’acte externe. Il n’a de liberté que celle qu’il tient de l’acte interne, dont il n’est que le complément et dont il dépend. Si donc on le considère séparément, il ne peut avoir de moralité propre et, par le fait, il n’augmente ni la bonté ni la malice de l’acte interne : il ne constitue avec lui qu’un seul et même acte moral, puisqu’il s’agit d’un acte efficace de volonté et que l’agent passera inévitablement à l’exécution. D’après la doctrine adverse, il faudrait admettre que l’on peut être privé, en partie, de la bonté morale d’un acte que l’on a la ferme intention d’accomplir, si quelqu’un nous empêche d’agir ; ce qui serait le cas de celui qui mettrait de côté une certaine somme, destinée à une bonne œuvre, et à qui un voleur la déroberait. Il serait déraisonnable de considérer son acte comme moins bon qu’il l’aurait été, sans l’intervention du voleur. L’Écriture d’ailleurs confirme pleinement cette manière de voir pour les actes bons comme pour les mauvais. Abraham est loué et récompensé pour le seul fait d’avoir consenti à l’immolation de son fils, comme s’il avait réellement accompli ce sacrifice : Quia fecisli hanc rem, et non pepercisti filio tuo unigenito propter me, benedicam tibi. Gen., xxii, 16-17. De même, Notre-Seigneur considère la volonté de commettre l’adultère comme aussi coupable que le fait lui-même : Omnis qui viderit mulierem ad concupiscendam eam, jam mœchatus est ecm in corde suc. Matth., v, 28.

Les scotistes objectent que, dans le Décalogue, les actes internes et les actes externes sont défendus par des préceptes différents, que la diversité de préceptes entraîne la diversité de malices. Mais, si deux de ces préceptes condamnent spécialement les actes internes, ce n’est pas parce que leur exécution aurait une malice spéciale, mais bien pour faire comprendre la gravite propre de ces fautes internes que le peuple serait trop porté à négliger. On ne peut non plus faire valoir que le fidèle est obligé d’accuser en confession les fautes externes et qu’il ne lui suffit pas de dire : j’ai voulu efficacement voler, car l’exécution de l’acte est bien le signe de la véritable volonté et surtout, comme nous l’avons remarqué au début, il arrive souvent que l’accomplissement de l’acte ajoute per accidens à la bonté ou à la malice de l’acte interne. Il reste donc que, par lui-même, l’acte externe n’a pas de moralité spéciale. V. Y-a-t-il des actes indifférents ? — Qu’il y ait des actes qui, considérés in abslracto, soient indifférents, tout le monde l’admet. Séparées de leurs circonstances et de leur fin, certaines actions n’ont aucun caractère de moralité : elles ne sont ni bonnes ni mauvaises. Contingit autem quod objectum actus non includit aliquid pertinens ad ordinem rationis, sicut levare feslucam de terra, ire ad campum et hufusmodi, et laies actus secundum speciem suam sunt indifférentes, S. Thomas, P-II 89, q. xviii, a. 8. Mais la question se pose pour les actes considérés in individuo, accomplis par telle personne, environnés de toutes leurs circonstances et faits avec délibération. Il ne saurait évidemment être question ici d’actes indélibérés : il leur manque la liberté, condition essentielle de toute moralité.

Ainsi précisée, la question de l’indifférence des actes délibérés, considérés in individuo, reçoit une double

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