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MORALITE DE L’ACTE HUMAIN


parce qu’elle est perçue en premier lieu par la raison et qu’elle s’attache à l’acte avant toute autre, avant celle dérivée des circonstances et de la fin. La fin et les circonstances pourront modifier la moralité de l’acte, elles lui en ajouteront parfois une nouvelle ; mais celle qui vient de l’objet subsiste et garde son caractère propre. Elle est appelée aussi essentielle, parce qu’elle est inhérente à l’acte même, qu’elle ne peut en être séparée : celui qui vole pour faire la charité et celui qui vole pour s’enivrer commettent tous deux une faute contre la justice : l’intention ne peut pas modifier le caractère essentiel, l’objet moral de l’acte.

Dans l’application de ces principes, il importe d’établir une distinction entre les actes bons et les actes mauvais. Pour accomplir un acte moralement bon, la volonté doit rechercher, au moins confusément, la bonté morale de l’objet ; pour l’acte mauvais, au contraire, il suffit que sa malice soit connue. Dans le premier cas, en effet, si l’on ne recherche pas la conformité de l’acte avec la raison, on agit pour le plaisir ou pour l’utilité, mobiles qui sont en désaccord avec le véritable fondement de la moralité : c’est ainsi que celui qui assisterait à la messe uniquement par curiosité n’accomplirait pas un acte moralement bon. Il suffit toutefois que cette bonté morale soit voulue confusément, c’est-à-dire qu’on ne recherche pas exclusivement et comme but dernier l’utilité ou le plaisir, que la bonté objective de l’acte ne soit pas positivement rejetée. Dans le second cas, la connaissance de la malice de l’acte, même avec la volonté de ne pas mal faire, suffit pour que cette action soit mauvaise. Le mal, en effet, ne peut être aimé pour lui-même. Si la volonté s’y attache, c’est parce que ce mal lui apparaît sous la forme du bien ; ce bien n’est qu’apparent, mais c’est sous cet aspect de faux bien que la volonté le recherche et s’y complaît. L’absence de conformité de l’acte avec la règle morale et sa malice sont cependant connues et, par le fait même, acceptées et voulues, non pas directement, mais par voie de conséquence. C’est pourquoi, si bonne que soit l’intention, elle ne peut séparer de l’acte une malice qui lui est essentielle : voler pour faire l’aumône sera toujours mal, même si l’on ne veut que le soulagement du pauvre.

II. Moralité dérivée des circonstances. — Les circonstances sont quelque chose d’accidentel qui s’ajoute à l’acte humain déjà constitué dans sa substance. Cf. S. Thomas, F-II^, q. vii, a. 1, et q. xviii, a. 3. Toutes les circonstances n’influent pas sur la moralité de l’acte humain : il en est qui sont pleinement indifférentes : peu importe de voler le lundi ou le mardi, un cheval blanc ou un cheval noir. Il s’agit ici de conditions morales qui s’ajoutent à la substance de l’acte déjà constituée et la modifient ; ainsi la circonstance de lieu sacré pourra s’ajouter à l’acte de vol, qui deviendra un vol sacrilège.

Classification des circonstances.

Tous les auteurs

ont conservé la classification des circonstances empruntée par saint Thomas, I a -II ffi, q. vii, a. 3, à Cicéron. Elles sont au nombre de sept :

Quis, quid, ubi, qulbus auxiliis, cur, quomodo, quando.

Quis indique la qualité spéciale de la personne qui agit : un clerc, une personne liée par un vœu ou par le mariage. — Quid désigne la qualité ou la quantité de l’objet : vol plus ou moins important d’objets profanes ou sacrés. — Ubi représente la qualité du lieu où le fait s’accomplit, sacré ou profane, privé ou public.

— Quibus auxiliis comprend les moyens spéciaux employés pour atteindre le but proposé : employer la violence pour séduire une femme. — Cur est l’intention qui fait agir, la fin extrinsèque ou finis ope rantis : faire l’aumône pour détourner quelqu’un de la vertu ou de la foi. A cause de son importance sur l’acte humain, cette circonstance sera traitée à part (§ III). — Quomodo signifie la manière dont l’acte est accompli, soit intérieurement, avec ou sans passion, soit extérieurement, tuer quelqu’un avec cruauté. — Quando dénote la quantité ou la qualité du temps pendant lequel on agit, long ou rapide, sacré ou profane.

2° Les circonstances influent sur la moralité de l’acte humuin. — Elles peuvent en effet, rendre un acte non conforme, ou plus ou moins conforme à la raison.

Dans l’ordre physique, une chose tire son importance non pas uniquement de ce qu’elle est en elle-même, mais de tous les accidents qui s’ajoutent à sa substance : deux morceaux d’or ciselés, l’un par un artiste, l’autre par un ouvrier peu habile, n’auront pas la même valeur. Il en est de même a pari dans l’ordre moral : un même acte, accompli par plusieurs personnes, variera tellement suivant les circonstances dans lesquelles elles l’opéreront que sa moralité apparaîtra différente en chacune : Prier Dieu avec ferveur est plus conforme à la raison que s’adresser à lui avec tiédeur, tuer un bienfaiteur est plus opposé à la nature raisonnable que mettre à mort un ennemi. Notre-Seigneur a dit, Marc, xii, 41-44, que la légère offrande de la veuve avait plus d’importance aux yeux de Dieu que les larges présents du riche. Et cependant, dans les deux cas, l’objet moral est le même, la charité. Ce qui les différencie, ce sont les circonstances : l’un donnant de son superflu, l’autre ce qui était néces » saire à sa subsistance. Le concile de Trente, sess. xiv, c. vetcan. 7 (Denz.-Ban., n. 899 et 917), rend obligatoire l’aveu au tribunal de la pénitence des circonstances qui changent l’espèce du péché. C’est donc que les circonstances exercent une réelle influence sur la moralité de l’acte humain. Comment influent-elles ?

Effets divers des circonstances.

Les circonstances

peuvent : 1. ou bien changer seulement le degré de moralité ; 2. ou bien donner à l’acte une nouvelle espèce de moralité.

1. — Certaines circonstances n’ont pas de relation de conformité ou de non-conformité avec la raison différente de celle de l’objet : elles restent dans la même ligne morale que lui ; mais elles le rendent plus ou moins raisonnable, et par suite plus ou moins bon. Ainsi, voler mille francs au lieu de cent francs n’ajoule à l’acte aucune espèce nouvelle de moralité, mais rend l’acte moins conforme à la raison, et par le fait plus mauvais ; inversement une aumône de cent francs est meilleure qu’une offrande de dix.

2. — -D’autres circonstances donneront à l’acte une nouvelle espèce de moralité. Quandocumque aliqua circumstantia respicit specialem ordincm rationis, vel pro vel contra, oportet quod circumstantia det speciem actui morali vel bono vel malo. S. Thomas, Ia-IIæ, q. xviii, a. 10. La moralité est la relation de conformité ou de non-conformité de l’acte avec la raison. Or une circonstance particulière peut ajouter à l’objet de l’acte humain une nouvelle relation différente de celle de l’objet même. Il en résultera une espèce nouvelle de moralité. Prendre le bien d’autrui est un vol ; si ce bien a une destination sacrée, il s’ajoutera une nouvelle espèce de moralité, le sacrilège ; dans le premier cas, une seule vertu est lésée, la justice, dans le second, une nouvelle vertu est atteinte, la religion. De même un acte bon peut recevoir des circonstances une nouvelle espèce de bonté : garder la chasteté a une bonté morale spéciale, l’exercice de la vertu de tempérance : garder la chasteté par suite d’un vœu ajoute une nouvelle bonté morale, provenant de l’exercice de la vertu de religion.

Les circonstances changent encore l’espèce de la