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MONETA DE CREMONE


Lyon ont quitté l’Église, d’abord simple schisme par scandale de faibles, puis hérésie, en somme différend bien moins sérieux que celui qui séparait de l’ortho. doxie les cathares proprement dits, p. 401-411.

Mais pour ce qui concerne cet albigéisme, Moneta donne les détails les plus circonstanciés. Il s’est préoccupé de savoir si les cathares avaient une métaphysique de l’être assez poussée, pour tenter d’expliquer comment l’infinie perfection de l’être peut se réaliser dans le cas de l’existence de deux principes divins opposés. Son enquête aboutit à un résultat négatif, p. 9. Son étude sur les thèses cathares au sujet de la Trinité nous apporte de précieux renseignements, p. 4, 6, 36 : les hérétiques admettaient l’existence des trois personnes, mais formulaient toutes sortes de théories à leur propos, en particulier sur ce qui concerne le Saint-Esprit, p. 3, 4, 6. Moneta nous apprend que, pour les cathares, l’Église a perdu progressivement son caractère sacré à partir du pape saint Sylvestre, parce qu’elle a admis la recherche des biens temporels, p. 412. L’angélologie cathare est exposée par Moneta, jusque dans ses raffinements, en particulier en ce qui concerne le rôle capital du démon, p. 3, 5, 185, 199, 218. Selon cet auteur, les cathares admettaient que l’homme possède outre l’âme et le corps un troisième élément constitutif distinct : l’esprit qui peut quitter l’âme sensible et est le siège de la vie spécifiquement intellectuelle et morale. Seules quelques pièces de l’inquisition font des allusions, certaines mais voilées, à cette croyance dont nous ignorerions tout sans Moneta, p. 4, 105. Cf. Broeckx, Le catharisme, p. 75, 76. Moneta indique aussi, en se fondant sur le témoignage de l’hérétique Didier, que les cathares avaient étudié le problème moral de la lutte entre la chair et l’esprit. Ils l’expliquaient par le déterminisme qui régit le corps humain, p. 346, 348. D’une manière générale, Moneta a su dégager l’importance du déterminisme dans toute la théologie des dualistes absolus. Il est d’ailleurs le seul à montrer le rôle important de cette doctrine philosophique dans l’élaboration du dogme albigeois, p. 5, 6, 63, 489-496. Selon les cathares, une cause agit par elle-même, ou toujours bien, ou toujours mal et ne peut être simultanément cause possible et libre à la fois du bien et du mal. Dès lors, il fallait un premier principe et des principes secondaires pour le bien, un premier principe et des principes secondaires pour le mal. D’où il suit que, ni Dieu, ni les circonstances de la création, ni l’homme, ni les circonstances de son salut ne sont libres. Moneta insiste très justement, p. 44-57, sur ce dogme fondamental des cathares les plus absolus : selon eux toutes les âmes se sauvent nécessairement et leurs épreuves, voire leurs transmigrations, ne sont que des épisodes, des purifications destinées à aboutir à un succès assuré. Par cette étude et la réfutation très détaillée qui la suit, Moneta montre ainsi dans l’albigéisme, où l’on voit volontiers si grande la part du mal, un optimisme absolument prépondérant et même excessif.

A propos de l’emploi fait par les hérétiques des textes scripturaires, le témoignage de Moneta est également d’une importance capitale. Encore ne faut-il pas faire dire à cet auteur ce qu’il ne dit point, et E. Broeckx, op. cit., p. 39, exagère lorsqu’il dit que pour les albigeois la liberté d’interprétation des Écritures est une manière de dogme, en se référant à un texte de Moneta, qui semble seulement arguer des illogismes et peut-être de la mauvaise foi de certains polémistes de l’hérésie, p. 6. Par contre, tandis que la plupart des traités contre les cathares négligent de mentionner les autorités scripturaires sur lesquelles les hérétiques appuyaient leurs prétentions, Moneta est toujours extrêmement complet sur ce point. Il met ainsi en évidence le caractère malgré tout chré DICT. DE THÉOL. CATHOL.

tien et hérétique des albigeois, dont on a trop tendance de nos jours à faire les adeptes d’une religion n’ayant plus rien de commun avec la religion du Christ. Par exemple, Moneta a le mérite de préciser très clairement sur quels textes de l’Écriture les cathares fondaient leur réprobation générale du mariage. Il s’agissait du conseil évangélique de chasteté donné par le Christ et par saint Paul, p. 315-320. Moneta est d’autant plus à croire là-dessus que les nuances d’opinion qu’il relève chez les cathares à propos de cette réprobation du mariage, p. 336, sont conformes aux autres témoignages indépendants de lui. Il rapporte aussi tout un folklore biblique des albigeois dont nous ne connaissons par ailleurs que des fragments ; sur le canon proprement dit de la bible cathare, il est aussi plus explicite qu’aucun autre, p. 3, 6, 218. Les cathares rejetaient en grande partie l’Ancien Testament et avaient la plus grande vénération pour le Nouveau. Moneta habilement leur explique que le Nouveau Testament proclame la sainteté de l’Ancien, la justice de Moïse, d’Abraham et des autres patriarches : le Christ déclare lui-même qu’il n’est pas venu abroger la loi ancienne, mais la parfaire et l’accomplir, p. 166. Moneta apprend à ce sujet que les albigeois soutenaient que l’inspiration de l’Ancien Testament est double, certains passages étant inspirés directement de Dieu et les autres directement du diable, p. 146, 158, 180. Pour expliquer l’existence de deux dieux, l’un bon et miséricordieux, l’autre mauvais et implacable, inspirateurs, par fragments, de l’Ancien Testament, les cathares avaient même bâti toute une exégèse. Tantôt Dieu dit : « Ote les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est un lieu saint. » Tantôt l’autre personnage divin dit au contraire : « Vous aurez des sandales aux pieds. »

Moneta excelle à montrer l’enchaînement de la dogmatique cathare. On sait communément qu’il exista des couvents chez ces hérétiques. Mais Moneta explique l’importance de cette vie de communauté pour des gens selon qui l’homme, s’il ne doit pas se marier, du moins ne doit jamais vivre en isolé, p. 278. Au reste, Moneta déploie la même habileté à montrer les illogismes de cette dogmatique albigeoise. Sans négliger de préciser l’horreur connue des albigeois pour tout homicide, et d’apporter à ce sujet des exemples circonstanciés du pacifisme cathare en matière de guerre et des doléances cathares, contre la conduite jugée guerrière de l’Église romaine, p. 436, 513, 523-537, il dénonce le faux raisonnement par lequel ces hérétiques s’adjugeaient néanmoins le droit de mettre à mort les chrétiens orthodoxes soit par ruse, soit par violence, p. 157, 171. Voici là-dessus la thèse de l’un d’eux Guillaume Belibaste : « Le Fils de Dieu a dit qu’il faut arracher l’ivraie ; or les faux croyants sont l’ivraie ; donc il faut les tuer. »

Résumons, avec E. Broeckx, qui a su voir l’importance de Moneta comme source de la théologie cathare : « Comparez l’écrit de Moneta aux autres sommes, vous n’en trouverez pas qui puisse soutenir la comparaison avec avantage, tant pour le fond que pour la forme. Nous n’avons pas ici une brève description, une simple mention du dogme cathare accompagnée d’une réfutation sommaire, mais l’exposé méthodique de toutes les doctrines et de leur importance dans le système… L’ouvrage de Moneta de Crémone est le plus important de ceux que les catholiques ont dirigés contre la secte cathare… C’est un arsenal qui a fourni aux inquisiteurs les armes les plus précieuses et les plus perfectionnées, dans la guerre contre les doctrines cathares. » Op. cit., p. 229, 231. Après avoir ainsi été précieux jadis aux polémistes, aux convertisseurs, aux inquisiteurs, il fournit maintenant aux historiens leur i meilleure ressource pour étudier l’hérésie albigeoise.

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