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MONARCHIANISME, A ROME, AU IIIe SIÈCLE


points suivants : Le Père et le Fils ne sont qu’une seule et même chose : duos unum volunt esse ut idem Pater et Filius habeatur. Adu. Prax., 5, p. 232-233. Dès lors le Verbe n’a pas d’existence personnelle ; il n’est qu’un autre nom donné au Père, un flatus uoeis : vox et sonus oris… aer ofjensus… ceterum nescio quid, Adv. Prax., 7, p. 236. C’est la théorie stoïcienne appliquée à la Trinité, et il est curieux de remarquer le caractère nominaliste des thèses monarchiennes. Cf. H. Hagemann, Die rômische Kirche und ihr lunfluss auf Diziplin und Dogma in den erslen drei Jahrhunderten, Fribourg-en-B., 1864, p. 164, et 347-348. Par suite, c’est le Père qui est descendu dans le sein de la vierge Marie, qui est né, et, en naissant, est devenu Fils, son propre fils à soi-même : ipse se sibi fîlium fecit. Adv. Prax, , 10, p. 240. C’est encore lui qui a souffert et qui est mort : ipsum dicit palrem… passum… post lempus pater natus et pater passus. Adv. Prax., 1 et 2, p. 227 et 228. C’est lui qui s’est ressuscité, et par suite il présente « suivant qu’on le considère dans un état ou dans l’autre, des attributs en apparence contradictoires, invisible et visible, inconnaissable et connaissable, incréé et créé, éternel et mortel, inengendré et engendré. » J. Tixeront, op. cit., p. 355. Cf. Adv. Prax., 14-15, p. 250-256.

Il est vrai que les textes scripturaires, et aussi bien l’enseignement traditionnel obligeaient Praxéas et ses disciples à tempérer la rigueur de leurs principes, lorsqu’il s’agissait d’expliquer ce qu’était Jésus-Christ. Ils en venaient alors à distinguer en lui une dualité, disant que l’homme Jésus était proprement le Fils, tandis que le Christ, c’est-à-dire l’élément divin, était le Père : ut œque in una persona utrumque distinguant Patrem et Filium, dicentes Filium carnem esse, id est hominem, id est Jesum ; Patrem autem Spirilum id est Deum, id est Christum. Adv. Prax., 27, p. 279-280. D’où la formule, qui faisait bondir Tertullien d’indignation : Filius sic quidem patitur, Pater vero compatitur. Adv. Prax., 29, p. 286.

A ce point, le monarchianisme modaliste se rapprochait de l’adoptianisme de Théodote. Parties de points différents de l’horizon, les deux erreurs aboutissaient, en ce qui regarde le Sauveur, à des conclusions assez analogues ; il semble difficile de croire que l’autorité ecclésiastique ne s’en soit pas aperçue, et que Praxéas n’ait pas été de sa part l’objet de mesures de rigueur tout comme Théodote.

Ce qui est du moins assuré, c’est que Praxéas ne demeura point à Rome et prit le chemin de Carthage, où il continua sa prédication ; tel est le sens du texte de Tertullien : Fructijicaverunt avense Praxeanie hic quoque, superseminatæ dormientibus multis in simplicitate doctrinæ ; traductæ dehinc per quem Deus voluit, etiam evulsæ videbantur. Adv. Prax., 1, p. 228. Sur ce texte, cf. P. de Labriolle, La crise montaniste, Paris, 1914, p. 263-267. Suivant les vraisemblances, Tertullien lui-même, désigné ici par la périphrase pleine de modestie, per quem Deus voluit, dénonça alors les agissements de l’hérésiarque, qui consentit à signer un document dans lequel il faisait amende honorable et que conserva précieusement la communauté catholique de Carthage. Quelques années durent s’écouler, pendant lesquelles le calme revint, en apparence du moins ; puis, tout d’un coup, l’erreur patripassienne se manifesta à Carthage avec une nouvelle force, ce qui détermina Tertullien à rédiger son traité. I.e livre, au moment où il fui écrit, répondait à des besoins

actuels ; toutefois l’hérésie qu’il réfutait avait pris

naissance quelques années auparavant, ce que peut signifier le moi hesternus, qui qualifie Praxéas ; cf.’.. Bardy, Praxean hesternum, dans Recherches de science religieuse, t.xii, 1922, p. 361.

I.a carrière de Praxéas s’achève pour nous à Car thage. A Rome, celui-ci ne dut pas laisser beaucoup de souvenirs. Le monarchianisme n’en devait pas moins connaître une période glorieuse grâce au disciple de Noët, Épigone, et à un certain Cléomène, disciple lui-même et collaborateur d’Épigone. Sur ces deux personnages, nous n’avons pas d’autres renseignements de première main que ceux qui nous sont fournis par Hippolyte, leur contemporain et leur adversaire. Si précieux que puissent être ces renseignements, nous ne devons pas oublier, en les étudiant, qu’Hippolyte les a consignés dans les Philosophoumena, qui sont un ouvrage d’opposition à l’Église officielle : certains de ses jugements, certaines de ses appréciations sont donc faussés par la passion, ce qui en rend la critique d’autant plus difficile.

Suivant Hippolyte, la prédication des novateurs commença par rencontrer à Rome le même succès qu’avait connu, quelques années auparavant, celle de Praxéas ; le pape Zéphyrin, qui avait alors succédé à Victor, accueillit Cléomène et se laissa séduire par ses enseignements, grâce surtout aux excitations de Calliste, son conseiller habituel : « En ce temps-là, raconte le polémiste, Zéphyrin s’imaginait gouverner l’Église. Esprit borné, d’une avarice sordide, il autorisait moyennant finances ceux qui l’allaient trouver, à suivre les leçons de Cléomène. Lui-même avec le temps, se laissa gagner aux mêmes doctrines, par le conseil et avec la complicité de Calliste… Sous Épigone, puis sous Cléomène, l’école s’affermit et se développa grâce au concours de Zéphyrin et de Calliste, et malgré notre opposition constante : car à maintes reprises nous leur tînmes tête, les réfutant et les forçant de confesser malgré eux la vérité : dans un premier instant de confusion, ils cédaient à la force de la vérité ; mais bientôt, ils retournaient se rouler dans la même fange. » Philosoph., IX, vii, édit. Wendland, p. 240241.

On entrevoit, dans ce récit, une situation assez troublée. D’une part, Épigone et Cléomène enseignent à Rome une doctrine semblable à celle de Noët. D’autre part, Hippolyte les combat avec acharnement, au risque de tomber dans l’erreur opposée à celle qu’il condamne et d’exagérer la distinction des personnes divines. Entre les deux tendances, également dangereuses par les excès auxquels elles peuvent mener, l’autorité officielle s’efforce de tenir la balance égale et de garder la tradition. D’ailleurs, elle redoute davantage les conclusions extrêmes de la théologie du Verbe que les formules monarchiennes. « Il ne paraît pas douteux, écrit dom Capelle, que le règne de Zéphyrin fut marqué, sur la question trinitaire, par un coup de barre dans un sens opposé aux apologistes. » Art. cit., p. 329.

Ce qui est très remarquable, c’est qu’Hippolyte, comme Tertullien, fait de la doctrine monarchienne celle des simples. Tertullien parlait avec dédain des simplices quique, ne dixerim imprudentes et idiotæ, quæ major semper pars credentium est, Adv. Prax., 3, p. 230* et saint Hippolyte fait du pape Zéphyrin un homme sans culture, ISiwtyjç xal iypâ.y.iy.Toq. Philosoph., IX, vii, xi, p. 210 et 245. A ces ignorants qui crient partout leur foi en un Dieu unique, s’opposent les savants, les philosophes, qui bâtissent des systèmes et s’efforcent d’expliquer le mystère chrétien. Hippolyte et Tertullien sont eux-mêmes les représentants les plus autorisés de cette tendance. Consciemment ou non. ils vont a changer L’Église en didascalée ; ils y Introduisent les méthodes et les raisonnements en usage dans les écoles profanes ; ils se soucient plus de la logique que de la tradition ; el l’on comprend sans peine que leurs efforts pour transformer la doctrine chrétienne eu un système philosophique n’aient pas été bien vus des autorités qui