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MoLINISME, EXPOSÉ SYNTHÉTIQUE


2 « Partie. — Réponses de Molina à quelques remarques.- - Klles se bornent à relever que son adversaire fait des citations tronquées, à maintenir les affirmations relevées par lui ou à les expliquer brièvement selon les distinctions déjà faites plus haut (p. 5996Oti). Nous ne nous y arrêterons pas davantage.

VI. Synthèse des théories de Molina. Après celle longue analyse, il ne sera pas inutile de synthétiser brièvement les théories de Molina. On le fera ici en soulignant leur opposition avec ce qu’il est convenu d’appeler le thomisme », afin de préparer le lecteur à l’intelligence des controverses dont l’histoire sera esquissée plus loin.

lui face des erreurs protestantes, Molina a voulu mettre en relief et préciser le rôle de la liberté dans la conduite de l’homme. Pour cela, il a posé en principe que tous les actes surnaturels relèvent de quelque manière du libre arbitre : puis, écartant au passage toute explication qui lui semblait minimiser ou même détruire l’influence de celui-ci, il a exposé ses vues personnelles sur le rapport de la liberté avec la grâce, la prescience, la providence, la prédestination et la réprobation.

Toute sa pensée gravite autour de ces deux pôles : le concours simultané et la science moyenne.

Le concours simultané.

Dans l’ordre naturel,

déclare Molina, le concours divin nécessaire pour la production d’une acte quelconque ne s’exerce pas sur le libre arbitre ; il fie consiste pas dans une impulsion préalable portant la volonté à agir (prémotion physique des thomistes). Il s’exerce au contraire, avec la volonté, sur les actes qui en émanent (concours simultané). Ainsi la volonté n’agit pas comme un instrument entre les mains de Dieu, cause principale, selon la conception des thomistes ; elle produit, par elle-même, une partie de l’effet réalisé avec le concours divin, de même qu’un homme tirant avec un autre sur un même câble contribue pour sa part à mouvoir la barque à laquelle ce câble est attaché. Dieu et la volonté ne sont pas deux causes totales dont la seconde serait subordonnée à la première ; mais deux causes partielles d’un effet total unique.

Dans l’ordre surnaturel, pense Molina, les choses ne se passent pas autrement. Sans doute, il faut ajouter ici, au concours général de Dieu, un influx spécial de grâce, qui élève au préalable et excite la volonté libre, pour la rendre capable de produire des actes surnaturels. Mais la volonté ainsi surnaturalisée n’a pas besoin, pour agir dans l’ordre surnaturel, d’une nouvelle motion divine, qui s’exerce sur elle et la détermine (prémotion ou prédétermination physique des thomistes) : pourvu que lesecours préalable se poursuive, elle réalise librement, avec la grâce et le concours général de Dieu, l’acte surnaturel, qui se trouve ainsi avoir trois causes partielles (concours simultané).

De là découlent deux conséquences importantes :

1. Il devient inutile d'établir, entre grâces prévenantes et grâces coopérantes ou adjuvantes, une distinction objective, comme le veulent les thomistes ; une seule et même grâce est prévenante, en tant qu’elle rend la volonté capable d’agir dans l’ordre surnaturel (in actu primo), et coopérante, en tant qu’avec la volonté elle pose l’acte surnaturel (in actu secundo).

2. Il n’y a pas lieu non plus, de maintenir, avec les thomistes, une distinction objective entre grâces Mi/lisantes et grâces efficaces : une seule et même grâce est suffisante ou efficace ; selon que la volonté libre lui donne OU non son assentiment. L’efficacité n’est donc pas un caractère Intrinsèque et spécifique :

il n’y a pas dt (/niées efficaces par elles-mêmes.

Ainsi, Molina veut faire la place plus large à la

liberté, dans les deux ordres naturel et surnaturel ; et, tout en maintenant la pleine transcendance du surnaturel par rapport à la créature, expliquer comment, Dieu voulant sauver tous les hommes, le salut de chacun est entre ses propres mains.

2° La science moyenne. - -Cette manière d’accorder la grâce et la liberté par la théorie du concours simultané n’allait pas sans soulever de grosses difficultés du côté de Dieu. Les thomistes expliquaient par la prémotion physique et les grâces efficaces la prescience divine, la providence, la prédestination et la réprobation. Le rejet de la prémotion physique et des grâces efficaces obligeait donc Molina à chercher un autre moyen de faire comprendre, comment Dieu connaît m/a.lLblement l’avenir et dirige à coup sûr ses créatures vers la fin qu’il leur a destinée. C’est ici qu’il fait appel à la science moyenne.

On distinguait en Dieu une double science : celle du possible et celle du réel. La première s’appelait scienlia naturalis, la seconde scientia libéra. Entre le possible et le réel, Molina distingue une troisième catégorie d’objets de connaissance : le futurible, qui serait réalisé si certaines conditions l'étaient. Il en fait l’objet d’une troisième science : la scientia média, que l’on ne peut refuser au Dieu omniscient. De cette « science moyenne », il n’est pas l’inventeur, encore qu’il lui ait donné son nom ; mais il a été le premier à voir le parti qu’on en pouvait tirer pour essayer d’apporter une nouvelle solution aux problèmes qui l’intéressaient.

Dieu, disaient les thomistes, réalise infailliblement dans le monde ses décrets éternels, par le moyen de prémotions physiques et de grâces efficaces par ellesmêmes ; il prévoit, dans ces mêmes décrets les actes libres de la créature. Molina explique la prescience infaillible de Dieu sans s’appuyer sur des décrets prédéterminants qu’il juge incompatibles avec la liberté, mais à l’aide seulement de la science moyenne et de la volonté divine. Sachant, par la science moyenne, ce que ferait chaque volonté libre dans toutes les circonstances où elle pourrait se trouver ; sachant d’autre part, par sa science libre, dans quelles circonstances chacune se trouvera placée en fait, de par le choix divin de tel ordre de choses déterminé, Dieu peut prévoir à coup sôr le succès des grâces qu’il destine à chacune. Sa prescience ne repose plus sur les décrets de sa volonté à lui, mais sur l'éminente compréhension qu’il a des volontés créées.

Ainsi s’expliquent encore par la science moyenne et la libre volonté de Dieu, la providence, la prédestination, la réprobation, et leur accord à toutes avec la liberté. En effet, lap rovidence n’est pas, selon Molina, un acte de volonté absolue, conduisant infailliblement les êtres vers la fin que Dieu leur destine : c’est un acte d’intelligence pratique : un plan, complété par un acte de volonté absolue portant sur l’ordre de choses à réaliser, et par un acte de volonté conditionnelle portant sur la conduite des êtres libres. L’infaillibilité de la providence ne résulte donc pas, d’après lui, d’un mouvement qu’elle imprimerait aux volontés, mais de la science moyenne.

La prédestination n’est pas, comme le voulaient les semi-pélagiens, consécutive à la prévision des mérites de l’homme ; elle n’est pas non plus due à ce que Dieu, axant toute prévision île ce que fera sa créai ure, décrète de lui donner des grâces efficaces par elles-mêmes, comme le veulent les thomistes ; elle consiste, d’après Molina. simplement en ce que, dans sa miséricorde, Dieu décide de donner à certains des grâces avec lesquelles il prévoit Infailliblement, par sa science moyenne, qu’ils collaboreront librement.

De même, la réprobation ne consiste pas dans le