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MOLANUS GERHARD


controverses, l’abbé Molanus pourrait arranger bien des choses, mais sur la question de l’admission du concile de Trente la principale difficulté restait.

Lentement élaborée au cours du printemps de 1692, la réponse de Bossuet ne fut expédiée que le 26 août. Corr., n. 784, t. v, p. 223. C’est un long mémoire latin, qui dans les Œuvres complètes de Bossuet porte le titre : De scripto cui titulus Cogitationes privat^e… episcopi Meldensis sententia, édit. citée, p. 550-588 ; la traduction française est de Bossuet lui-même, p. 588616 ; comme Bossuet le fait remarquer dans une lettre à Leibniz du 28 août, Corr., n. 786, t. v, p. 226, cette traduction ne serre pas de près l’original latin : « tout est tourné plus court dans l'écrit français, et j’espère que ceux qui auront lu le latin ne perdront pas tout à fait leur temps à y jeter l'œil. »

La réponse de l'évêque de Meaux à l’abbé de Lokkum distingue très nettement -les deux points sur lesquels roule tout le différend. D’une part il y a les controverses de détail sur des questions même importantes de l’enseignement ecclésiastique. La méthode d’exposition déjà préconisée à plusieurs reprises par Bossuet peut ici rendre les plus grands services : une exégèse exacte des textes symboliques luthériens et des textes catholiques, peut montrer qu’en nombre de cas la distance est infime qui sépare les deux confessions ; l'œuvre de l’abbé de Lokkum a singulièrement avancé ce travail de rapprochement. Mais quant à la demande qui paraît fondamentale à Molanus, la suspension de la force obligatoire des anathèmes dogmatiques du concile de Trente, Bossuet lui oppose une fin de non-recevoir absolument catégorique. Cf. art. vi, De concilio Tridenlino = c. vit de la trad. française. Aux yeux de l'évêque de Meaux, cette suspension même provisionnelle portait une atteinte des plus graves à l’idée de l’infaillibilité de l'Église, au principe de l’irréformabilité de ses décisions dogmatiques. La fin de l'écrit était même fort dure pour les deux représentants de la théologie luthérienne : « Je soutiens, disait Bossuet, que M. de Leibniz et ceux qui entrent comme lui dans le tempérament de M. l’abbé Molanus ne sont point excusés par là de l’opiniâtreté qui fait l’hérétique. » Et pourtant Bossuet ajoutait pour terminer : « Le docte abbé dont nous avons examiné l'écrit, si l’on change seulement l’ordre de son projet, a ouvert aux siens comme il se l'était préparé le chemin à la paix et comme le port du salut. » En d’autres termes Molanus disait : « Unissons-nous d’abord, en oubliant les points de doctrine qui nous divisent ; l’union faite, nous réglerons ces points. » Et Bossuet répondait : « Causons d’abord, et les conversations ne pourront manquer de faire voir aux protestants que les décisions dogmatiques dont ils s’effarouchent n’ont rien que de légitime ; le jour où ils accepteront le concile de Trente, la réunion est faite. >

Il est de toute évidence que deux doctrines s’affrontaient ici qu’il était impossible de concilier ; prise de ce biais la cause de l’union était perdue d’avance. Pourtant chaque partie avait trop le sentiment de la grandeur des intérêts engagés, pour ne pas tenter d’amener l’adversaire à son sentiment. Molanus se décida à répondre à Bossuet, mais visiblement il y mit peu de diligence ; à diverses reprises la correspondance de Leibniz avec Bossuet témoigne des délais qu’accumulait l’abbé. Cf. Corr., n. 849, t. v, p. 333 ; n. 935, t. vi, p. 33 ; n. 1021, t. vi, p. 218.

Ainsi se passèrent et l’année 1693 et une partie de 1694. En juin 1694 Leibniz écrit à Bossuet :

M. l’abbé de Lokkum travaille fort et ferme à une espèce de liquidation des controverses qu’il y a entre Rome et Augsbourg, et il le fait par ordre de l’empereur. Mais il a affaire à des gens qui demeurent d’accord du grand principe de la réunion, qui est la base de toute la négociation..,

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Voici l'échantillon de quelques articles de cette liquidation que je vous envoie, Monseigneur, de sa part. Il y en a jusqu'à cinquante qui sont déjà prêts. Ce qu’il avait projeté sur votre excellent écrit (= De scriplo cui titulus Cogitationes privât* episcopi Meldensis sententia) entre maintenant dans sa liquidation, qui lui a fait prendre les choses de plus haut et les traiter plus à fond : ce qui servira aussi à vous donner plus de satisfaction un jour. Cependant je vous envoie aussi la préface de ce qu’il vous destinait dés lors, et des passages où il s’expliquait à l'égard du concile de Trente, et rien ne l’a arrêté que la difficulté qu’il croyait naître chez vous sur ce concile, jugeant que, si l’on voulait s’y attacher, ce serait travailler sans fruit et sans espérance, et même se faire tort de notre côté et s'éloigner des mesures prises dans la convocation (= la réunion de 1683) et du fondement qu’on y a jeté. Il espère toujours de vous une déclaration sur ce grand principe, qui le mette en état de se joindre à vous dans ce grand et pieux dessein de la réunion, avec cette ouverture de cœur qui est nécessaire. Il me presse fort là-dessus, et il est le plus étonné du monde de voir qu’on y fait difficulté ; ceux qui ont fait la proposition de votre côté et qui ont fait naître la négociation (Spinola ?) ayant débuté par cette condescendance et ayant très bien reconnu que sans cela il n’y aurait pas moyen d’entrer seulement en négociation.

Le grand article qu’on accorde de notre côté est qu’on se soumette aux conciles oecuméniques et à l’unité hiérarchique ; et le grand article réciproque qu’on attend de votre côté est que vous ne prétendez pas que, pour venir à la réunion, nous devions reconnaître le concile de Trente pour œcuménique, ni ses procédures pour légitimes. Sans cela M. Molanus croit qu’il ne faut pas seulement songer à traiter, et que les théologiens de ce pays n’auraient pas donné leur déclaration ; et qu’ainsi lui ne peut guère avancer non plus, de peur de s'écarter des principes de cette convocation, où il a eu tant de part. Corr., n. 1070, t. vi, p. 334-335.

Nous avons tenu à donner ce texte au complet ; nul n’explique mieux la raison pour laquelle les négociations devaient fatalement échouer. L'écrit de Molanus envoyé par Leibniz s’est retrouvé dans les papiers de Bossuet ; une partie seulement a été éditée sous ce titre : Explicatio ulterior methodi reunionis ecclesiasticæ occasione eorum insliluta quæ Ill mo et R m0 D. Jacobo Benigno episcopo Meldensi modcrale non minus quam erudile ad eadem annolare placuit ; édit. citée, p. 638-645 (trad. fr. p. 646-655). L'étude détaillée de ce texte n’ajouterait rien à ce que Leibniz dit si bien dans sa lettre d’envoi. Les éditeurs du xviiie siècle n’ont pas publié les « trois articles de liquidation » mentionnés par Leibniz dans la lettre ci-dessus ; ils roulent sur les trois points suivants : 1. De sacrificio missse ; la controverse sur ce point, dit Molanus, est purement verbale ; 2. De ratione formali justificationis, sive in quo consistât justificatio liominis peccatoris coram Deo ; on se demande, dit Molanus, comment on a pu, sans aucune nécessité, se battre sur une telle question ; 3. De absoluta certitudine conversionis, pxiiilenlise, absolulionis, fidei, jusli/îcationis, sanctificationis, denique sahilis œlernic, et l’abbé de conclure : .Sur ces divers points, ou bien il n’y a aucune controverse avec l'Église romaine, ou bien la discussion est purement verbale et ne touche pas au fond.

Bossuet qui dut avoir la réponse de Molanus peu après le 18 juillet 1694, cf. Corr., n. 1078, t. vi, p. 355, suspendit alors la discussion. Toute correspondance cessa pendant quelques années entre Meaux et Hanovre. Et Leibniz écrira le 2 janvier 1699 à Mme de Brinon : « Il (Bossuet) quitta la partie tout d’un coup sans vouloir dire ni oui, ni non sur des questions où il s'était engagé de nous faire entendre son sentiment… Je vous laisse penser quel mauvais effet cela a fait. » boucher de Careil, t. ii, p. 218. Leibniz veut évidemment parler d’un argument dont il s'était imaginé et qui revient plusieurs fois dans la correspondance : la suspension par le concile de Bâle, en faveur des calixtins de Bohême, des décrets de Constance relatifs

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