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MŒHLER, DOCTRINE
« une des pages les plus importantes de la Symbolique.

La révélation, dit Mœhler, est un fait éminemment universel et n’a pas besoin de la chute pour se comprendre. .. La religion normale ou naturelle est déjà révélation divine. Ou plutôt il n’y a pas de religion purement naturelle… La nature humaine, pour s’élever à la connaissance et à la vie religieuses, à la foi et à la sanctification, doit être constamment sollicitée et aidée par le Divin. » Mœhler évite soigneusement toute expression technique qui rappellerait la distinction classique des deux ordres, l’ordre naturel et l’ordre surnaturel. De même que, pour lui, vérités surnaturelles et vérités religieuses se confondent, de même vie surnaturelle et vie religieuse. Mœhler tentait de supprimer ainsi, par simple prétention, sept siècles de théologie et de faire revivre les conceptions de saint Anselme. Voir, ici, 1. 1, col. 1346-1347.

On devine dès lors ce que seront, pour Mœhler, la justice originelle, le péché originel et la justification. « Notre premier père était juste et saint, en d’autres termes agréable à Dieu ; car en lui, pour parler avec l’École, les sens obéissaient à la raison et celle-ci aux préceptes de la justice éternelle, si bien qu’il vivait dans une harmonie parfaite avec lui-même et avec le ciel. » Symb., t. ii, p. 4-6. Le péché originel, « c’est la perte de la justice surnaturelle avec la perversion du cœur et la concupiscence de la chair. » Ibid., p. 54. Enfin la justification : « est la création de l’homme nouveau. Pénétrant les facultés spirituelles, inhérente au fond des âmes, elle renouvelle et change intérieurement. .. Par les trois vertus théologales, l’intelligence est éclairée, le cœur réchauffé et la volonté redressée ; par l’incorporation à l’Homme-Dieu, le chrétien devient pur au dedans de lui-même, droit dans ses œuvres et saint devant celui qui sonde les cœurs et les reins. » Ibid., p. 144-145. Pour parler la langue des théologiens, Mœhler admet bien une gralia sanans, mais ne fait aucune allusion à une gratin elevans. Préoccupé des critiques de Baur, qui reproche au dogme catholique de ne faire de la justice originelle qu’un pur « accident », de donner au christianisme total l’aspect d’un vaste opus supcrerogationis, cf. Vermeil, p. 184, Mœhler aboutit « à une sorte de transformisme sui generis, qui se plaît à considérer la conscience religieuse comme un organisme vivant et à la faire évoluer sous l’action et avec le secours de la Grâce divine. » Ibid., p. 46. La ressemblance avec Dieu, c’est-à-dire le surnaturel, n’est que le « développement » de l’image’de Dieu, c’est-à-dire de nos « facultés spirituelles », du naturel. Symb., t. i, p. 15. Enfin, pour réagir contre le luthéranisme, qui « établit une différence essentielle entre la religiosité et la moralité », Mœhler en arrivera presque à les confondre : « si le culte de l’esprit tient de plus près à la religion, tandis que celui du cœur est plus moral, cette différence est enlevée dans l’amour, le centre de toutes les vertus, l’unité vivante où se résument la religiosité et la moralité ». Ibid., p. 293.

5° L’institution divine de l’Église et de sa hiérarchie.

— « On donne une définition étroite de l’Église quand on l’appelle un établissement ou une réunion, fondés pour le maintien et la propagation de la foi chrétienne : elle est plutôt un produit de cette foi, un effet de l’amour vivant dans les fidèles par le Saint-Esprit… Le corps de l’homme est une manifestation de l’esprit qui annonce en lui son existence et qui se développe. L’État est un phénomène nécessaire, une création et une formation du x<hvcovi>côv qui nous a été donné par Dieu… Partout où il se trouve donc des forces d’une certaine espèce, elles se manifestent conformément à leur caractère. L’Esprit divin se communiquant ainsi à l’humanité et lui donnant une nouvelle force, il devait en résulter un phénomène extérieur

et nouveau qui lui répondît… » De l’unité, p. 163-165. Ainsi, pour être divine, l’Église n’a pas besoin d’avoir été « instituée » par Jésus-Christ. « De l’idée d’une institution, il ne faut pas séparer celle du mécanisme ; or l’Église est un organisme vivant. » Ibid., p. 167.

Il en est de même de la hiérarchie dans l’Église. « Si l’évêque est institué par la communauté, l’intention intérieure, le besoin extraordinaire qui la font agir en cette circonstance pour se procurer un point central de son amour, n’ont rien d’humain, … c’est l’ouvrage du Saint-Esprit, et conséquemment les fonctions épiscopales le sont aussi. » Ibid., p. 178.

Que nous sommes loin de la théologie de la « succession apostolique » ! En réalité, pour Mœhler, les pouvoirs spirituels dans l’Église sont d’origine « charismatique ». « L’ordination, telle qu’elle se présente à l’extérieur, n’est autre chose si ce n’est la reconnaissance de toute l’Église que, dans un certain fidèle, se trouve son esprit qui le rend capable de représenter l’amour d’un certain nombre de fidèles et de les unir à toute l’Église ; ainsi le Saint-Esprit ne se communique pas tant dans l’ordination qu’il est reconnu avoir communiqué déjà auparavant un certain don à l’ordinand. » Ibid., p. 217. (Qu’on lise, dans l’addition xiii, p. 283-295, les curieuses théories de Mœhler sur « la participation de tous les chrétiens à la vocation des ecclésiastiques », en particulier au pouvoir de remettre les péchés.)

Ne cherchons pas non plus d’institution positive de la primauté par Jésus-Christ : « La primatie, comme chaque propriété du christianisme, ne doit pas être considérée comme une idée morte, mais comme la vie et comme provenant de la vie… A quoi bon cette proposition morte : vous devez avoir un centre d’unité, appliquée même à Jésus-Christ, s’il n’est pas dans l’intérieur des fidèles des besoins qui y répondent ?… Avant donc qu’une image personnifiée de l’unité des fidèles pût se manifester véritablement, cette unité devait exister et son développement ultérieur s’en suivait naturellement. » Ibid., p. 225-226.

Ainsi, dans cette question des origines de l’Église et de la hiérarchie dans l’Église, « Mœhler et les théologiens de l’école de Tubingue évitent toute affirmation purement abstraite et dogmatique. Ils substituent l’immanence à la transcendance, la causa proxima (le Saint-Esprit, le besoin) à la ecuisa remola (le Christ), la psychologie et la sociologie à la théologie pure. Ils veulent reconstruire la genèse immédiate et positive de la hiérarchie ecclésiastique. Ils assimilent les exigences du devenir social à cette volonté du Christ dont parle l’ancienne théologie. » Vermeil, p. 372.

— Que si maintenant l’on désire connaître l’évolution des idées de Mœhler sur les rapports de l’épiscopat et du primat dans l’Église, qu’on lise le résumé qu’a donné M. Goyau, op. cit., p. 31-37, de « deux articles très fouillés » d’Aloys Schmid, dans le Hislorisclies Jahrbuch, t. xviii, 1897, p. 322-356 et 572-599.

Conclusion. Jugement sur la doctrine de Mœhler. — Mœhler se serait certainement fait gloire d’être rangé parmi les théologiens mystiques plutôt que parmi les théologiens spéculatifs. C’est bien en effet une théologie mystique que la sienne, nous voulons dire une théologie intuitive, synthétique, constructive, créatrice ; sa pensée n’a rien de la pensée discursive, analytique, critique, qui vérifie tous ses pas, serre les textes d’aussi près que possible sans vouloir jamais les déborder, éprouve scrupuleusement la solidité des fondations de l’édifice théologique. Il ne serait pas impossible que certaines vues de Mœhler, plus ou moins retouchées, s’in< orporassent à la théologie catholique, par exemple son idée de la tradition (cf. supra), de l’Église « incarnation permanente du Fils de Dieu », Symb., t. ii, p. 8, enfin de la messe,