Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/366

Cette page n’a pas encore été corrigée

202J

M D E H M S M E, A l’P A H I T I O N

2026

Le premier de ces opuscules était un essai philosophique sur la religion. Celle-ci se ramènerait au

sens de l’absolu » qui domine notre volonté. Plus tard seulement l’intelligence s’elïorce de traduire en concepts ce postulat de notre vie morale En quoi d’ailleurs elle ne peut aboutir qu’à des symboles « spéculativement faux, mais pratiquement vrais » > : ce qui seul importe, c’est leur aptitude à guider notre action. Comme le monde religieux ne se découvre que progressivement, la connaissance qui nous en arrive est une révélation, et celle-ci, en conséquence, esl constituée par un fait tout personnel d’intuition ou d’expéiience mystique.

Toutes les religions, à vrai dire, présentent ce genre de phénomènes ; mais les hommes plus favorisés à cet égard deviennent pour les autres des prophètes. Nulle part on n’en trouve de plus grands qu’en Israël. Parce qu’elle en a recueilli et amplifié la tradition, l’Église est par excellence la maîtresse des âmes. Mais ses doctrines ne représentent pas pour autant la vérité absolue ; il les faut ter.ir pour des symboles, auxquels s’applique la maxime de l’Évangile : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. »

Hilaire Bourdon » faisait une application plus concrète à l’Église de la philosophie tracée par

Ernest Engels ». Au catholicisme il reprochait d’être établi sur le postulat d’une infaillibilité doctrinale dévolue au corps ecclésiastique. Prétention démentie par l’histoire des dogmes et par l’insuffisance actuelle de la Curie. Il faut, au contraire, concevoir l’Eglise comme une école de charité divine, à l’égard de laquelle ses dogmes ne sont que des représentations mentales, auxquelles on ne demandera qu’une « approximation » de la vérité. Cette vie divine siège essentiellement dans les individus : d’où il suit que l’autorité appartient au consensus fidelium, dont les évêques et le pape sont seulement les interprèles. Ainsi l’Église officielle n’est qu’une lourde enveloppe, où se cache néanmoins l’esprit du Christ : le devoir de ses enfants devenus adultes est de lui rester fidèle pour travailler du dedans à sa transformation.

Plus tard encore, G. Tyrrell avait recours à un semblable procédé, en écrivant sa Lettre à un professeur d’anthropologie, qui circulait sans nom d’auteur depuis 1904. Sous prétexte de répondre aux objections d’un savant désabusé, l’auteur y exposait qu’il ne fallait pas confondre la foi avec les dogmes qui en sont l’interprétation intellectuelle, pas plus que l’Église réelle avec la hiérarchie. Caduc sous ses formes extérieures, le catholicisme n’en représentait pas moins un principe de vérité et de vie qui avait pour lui l’avenir. On pouvait donc et on devait s’attacher à lui sans égard aux exigences de ses représentants officiels, dont l’aveuglement rappelle celui des juifs qui condamnèrent le Christ.

Tels sont les thèmes que l’auteur n’allait plus désormais se lasser de reprendre. Reconnues par lui dans la suite, ces diverses œuvres clandestines méritent d’entrer en ligne de compte pour connaître les pensées intimes de G. Tyrrell, et caractériser le genre de son apostolat.

2. Œuvres publiques. En public. G. Tyrrell se

montrait naturellement plus discret. Cependant, il réussit le tour de force de taire passer toute la substance de la philosophie religieuse esquissée par

Ernest Engels » dans un volume intitulé : Lex orandi, qui parut à Londres, en 1903, avec l’Imprimatur de ses supérieurs. La dextérité littéraire et l’onction mystique de sa plume avaient donné le change sur le symbolisme relativiste de ses doctrines.

Malgré ce succès, G. Tyrrel ne se sentait plus à son

aise dans les cadres de la Compagnie de Jésus et travaillait à en sortir. Lue indiscrétion de presse ayant révélé le contenu de la Lettre à un professeur d’anthropologie, ce fut l’expulsion pure et simple qui lui rendit sa liberté sans la compensation d’une situation canonique régulière (1 « février 1906). L’auteur en profita pour multiplier ses publications.

Ce fut d’abord Lex credendi, Londres, 1906, qui se donnait comme une explication de Lex orandi et tenait, en effet, un suffisant équilibre entre le mysticisme et le dogmatisme, non sans trahir çà et là des propensions anti-intellectualistes. Puis G. Tyrrell voulut soumettre à l’appréciation du public la *< Lettre confidentielle » qui avait occasionné ses malheurs. Il en publia donc le texte original, avec une introduction et des notes destinées à I’éclaircir : A much abused letter, Londres, 1906. Enfin il réunit en volume les articles par lui donnés à différentes revues, avec quelques morceaux inédits, sous ce titre qui devait en indiquer la tendance : Through Scylla and Charybdis, Londres. 1907. Le dogmatisme excessif des théologiens et le pragmatisme tout utilitaire de certains philosophes, étaient les deux écueils voisins entre lesquels il entendait frayer le passage à un christianisme, dont l’expérience mystique garantirait la réalité et serait, au fond, l’unique source.

Et c’est ainsi que s’offraient aux yeux de tous, à peine corrigés par de légères atténuations, l’immanentisme et le symbolisme que les œuvres secrètes de G. Tyrrell ne murmuraient encore qu’aux oreilles de quelques initiés.

4° Conséquence : La crise catholique. — Tout cet ensemble de faits plus ou moins convergents avait pour résultat de créer dans l’Église un foyer persistant de troubles, dont tous les milieux cultivés ressentaient à des degrés divers le contre-coup.

1. En France.

Parce que venues de chez nous, les manifestations les plus graves du modernisme y produisirent des effets plus sensibles et plus directs, en même temps que les initiatives de l’étranger y avaient forcément leur répercussion.

Le nom d’A. Loisy d’abord et surtout était un signe de contradiction. En effet, l’auteur jouissait encore de tous ses pouvoirs ecclésiastiques, et son œuvre antérieure le qualifiait pour être le porte-parole d’une science unie à la foi. D’autre part, la publication toute récente par A. Houtin de La question biblique chez les catholiques de-France au XIXe siècle. Paris, 1902, avait trop fait sentir l’insuffisance de l’exégèse conservatrice, pour ne pas disposer favorablement les esprits envers une école nouvelle. Au surplus, la pensée d’A. Loisy s’exprimait et se balançait en des formules d’une savante complexité, qui permettaient de ne pas apercevoir ses tendances profondes, et comment ses intentions apologétiques n’eussent-elles pas rassuré les plus défiants ?

Dans ces conditions, l’apparition des deux petits « livres rouges « allait prendre les proportions d’un événement. Non seulement ils connurent un succès très vif dans la presse profane, mais ils furent bien accueillis dans les milieux catholiques où l’on se piquait d’avoir l’esprit large. A l’enconlre de ses premiers critiques, la Revue du clergé français, puis, avec plus de réserve, les Annales de philosophie chrétienne assumaient le rôle de la défense, en vue de justifier les doctrines ou tout au moins de garantir le loyalisme de l’auteur.

Cependant des voix plus sûres dénonçaient le danger. Sans parler de polémistes trop incompétents pour ne pas gâter leur cause, des savants catholiques autorisés prenaient hautement position contre L’Évangile et l’Église : Léonce de Cirandmaison, dans les Études du 20 janvier 1903 ; P. Batifîol surtout, dans le