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et, sans vouloir résolument nous renverser, s’arrangeaient de manière que, nous trouvant sans point d’appui, ils pussent toujours, du moindre coup, nous mettre à terre. Après tout, les défiances de Dufaure n’étaient pas toujours sans fondement. Les chefs de la majorité voulaient se servir de nous pour prendre les mesures de rigueur et obtenir les lois répressives qui devaient rendre le gouvernement commode à ceux qui nous succéderaient, et nos opinions républicaines nous y rendaient, dans ce moment-là, plus propres que les conservateurs. Ils comptaient bien ensuite nous éconduire, et faire monter leurs doublures sur la scène. Non seulement, ils ne voulaient pas que nous puissions fonder notre influence au sein de l’Assemblée ; mais ils travaillaient sans cesse à nous empêcher de nous établir dans l’esprit du président. Ils étaient encore dans cette illusion que Louis Napoléon se trouverait toujours heureux de subir leur tutelle. Ils l’obsédaient donc ; nous étions instruits, par nos agents, que la plupart d’entre eux, mais surtout M. Thiers et M. Molé, le voyaient sans cesse en particulier, et le poussaient de tout leur pouvoir à renverser, d’accord avec eux, et à frais et profits communs, la république. Ils formaient comme un ministère secret à côté du cabinet responsable. À partir du 13 juin, je vécus dans des alarmes continuelles, craignant tous les jours qu’ils ne profi-