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jeter l’offre. Je me jugeais impropre à remplir une tâche à laquelle rien ne m’avait préparé. Je retrouve au milieu de mes papiers la trace de ces hésitations, dans une sorte de conversation écrite qui eut lieu à un dîner que nous fîmes à ce moment-là, quelques-uns de mes amis et moi.

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Je me déterminai enfin à accepter le ministère des affaires étrangères, mais j’y mis pour condition que Lanjuinais entrerait en même temps que moi au Conseil. J’avais plusieurs raisons très fortes pour agir ainsi. Il me semblait d’abord que trois ministères nous étaient indispensables, afin d’acquérir dans le cabinet la prépondérance dont nous avions besoin pour bien faire. Je pensais de plus que Lanjuinais serait très utile pour retenir, dans la ligne que je voulais suivre, Dufaure lui-même sur lequel je ne me sentais pas assez de prise. Je voulais surtout placer près de moi un ami avec lequel je pusse m’ouvrir de toutes choses : avantage précieux dans tous les temps, mais principalement dans les temps de soupçons et de versatilité comme les nôtres, et pour une œuvre aussi hasardeuse que celle que j’entreprenais.

À tous ces différents points de vue, Lanjuinais me convenait merveilleusement, quoique nous fussions de tempéraments bien dissemblables. Son humeur était aussi calme et aussi paisible que la mienne était in-