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départi. Dans ses mains sont accumulés presque tous les pouvoirs que le conseil lui-même possède ; il les exerce tous en premier ressort. Comme ce conseil, il est tout à la fois administrateur et juge. L’intendant correspond avec tous les ministres ; il est l’agent unique, dans la province, de toutes les volontés du gouvernement.

Au-dessous de lui, et nommé par lui, est placé dans chaque canton un fonctionnaire révocable à volonté, le subdélégué. L’intendant est d’ordinaire un nouvel anobli ; le subdélégué est toujours un roturier. Néanmoins il représente le gouvernement tout entier dans la petite circonscription qui lui est assignée, comme l’intendant dans la généralité entière. Il est soumis à l’intendant, comme celui-ci au ministre.

Le marquis d’Argenson raconte, dans ses Mémoires, qu’un jour Law lui dit : « Jamais je n’aurais cru ce que j’ai vu quand j’étais contrôleur des finances. Sachez que ce royaume de France est gouverné par trente intendants. Vous n’avez ni parlement, ni états, ni gouverneurs ; ce sont trente maîtres des requêtes commis aux provinces de qui dépendent le malheur ou le bonheur de ces provinces, leur abondance ou leur stérilité. »

Ces fonctionnaires si puissants étaient pourtant éclipsés par les restes de l’ancienne aristocratie féodale, et comme perdus au milieu de l’éclat qu’elle jetait encore ; c’est ce qui fait que, de leur temps même, on les voyait à peine, quoique leur main fût déjà partout. Dans la