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ils, que les routes de la province deviennent praticables sans qu’il en coûte rien de plus au peuple. Il eût peut-être été moins onéreux pour ces privilégiés de substituer à la corvée une taxe générale et d’en payer leur part ; mais, en cédant volontiers le bénéfice de l’inégalité d’impôt, ils aimaient à en conserver l’apparence. Abandonnant la part utile de leur droit, ils en retenaient soigneusement la part odieuse.

D’autres assemblées, composées tout entières de propriétaires exempts de la taille, lesquels entendaient bien continuer à l’être, n’en peignaient pas moins des couleurs les plus noires les maux que cette taille infligeait aux pauvres. Ils composaient de tous ses abus un tableau effroyable, dont ils avaient soin de multiplier à l’infini les copies. Et, ce qu’il y a de bien particulier, c’est qu’à ces témoignages éclatants de l’intérêt que le peuple leur inspirait, ils joignaient de temps en temps des expressions publiques de mépris. Il était déjà devenu l’objet de leur sympathie sans cesser encore de l’être de leur dédain.

L’assemblée provinciale de la haute Guyenne, parlant de ces paysans dont elle plaide chaudement la cause, les nomme des êtres ignorants et grossiers, des êtres turbulents et des caractères rudes et indociles. Turgot, qui a tant fait pour le peuple, ne parle guère autrement.

Ces dures expressions se rencontrent dans des actes destinés à la plus grande publicité, et faits pour passer sous les yeux des paysans eux-mêmes. Il semblait qu’on