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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

ne voit point que chez ces nations les rapports de l’homme et de la femme soient devenus plus réguliers et plus chastes. Le contraire se laisse même apercevoir en quelques endroits. Certaines classes sont mieux réglées ; la moralité générale paraît plus lâche. Je ne craindrai pas de le remarquer, car je ne me sens pas mieux disposé à flatter mes contemporains qu’à en médire.

Ce spectacle doit affliger, mais non surprendre. L’heureuse influence qu’un état social démocratique peut exercer sur la régularité des habitudes est un de ces faits qui ne sauraient se découvrir qu’à la longue. Si l’égalité des conditions est favorable aux bonnes mœurs, le travail social, qui rend les conditions égales, leur est très-funeste.

Depuis cinquante ans que la France se transforme, nous avons eu rarement de la liberté, mais toujours du désordre. Au milieu de cette confusion universelle des idées et de cet ébranlement général des opinions, parmi ce mélange incohérent du juste et de l’injuste, du vrai et du faux, du droit et du fait, la vertu publique est devenue incertaine, et la moralité privée chancelante.

Mais toutes les révolutions, quels que fussent leur objet et leurs agents, ont d’abord produit des effets semblables. Celles mêmes qui ont fini par resserrer le lien des mœurs ont commencé par le détendre.