Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 4.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
APPENDICE.

idée moderne. Le moyen âge ne l'avait point aperçue, ou du moins il ne l’avait jamais conçue que très-confusément. On peut dire que chez toutes les nations de l’Europe la puissance exécutive et la puissance judiciaire ont commencé par être mêlées ; en France même où, par une très-heureuse exception, la justice a eu de bonne heure une existence individuelle très-vigoureuse, il est encore permis d’affirmer que la division des deux puissances était restée fort incomplète. Ce n’était pas, il est vrai, l’administration qui retint dans ses mains la justice, ce fut la justice qui attira en partie dans son sein l’administration. La Suisse, au contraire, a été de tous les pays d'Europe celui peut-être où la justice s’est le plus confondue avec le pouvoir politique, et est devenue le plus complètement un de ses attributs. On peut dire que l’idée que nous avons de la justice de cette puissance impartiale et libre qui s’interpose entre tous les intérêts et entre tous les pouvoirs pour les rappeler souvent tous au respect de la loi, cette idée a toujours été absente de l’esprit des Suisses, et qu’elle n’y est encore aujourd’hui que très-incomplétement entrée.

Les nouvelles constitutions ont sans doute donné aux tribunaux une place plus séparée que celle qu’ils occupaient parmi les anciens pouvoirs, mais non une position plus indépendante. Les tribunaux inférieurs sont élus par le peuple et soumis à réélection ; le tribunal suprême de chaque canton est choisi non par le pouvoir exécutif, mais par la puissance législative, et rien ne garantit ses membres contre les caprices journaliers de la majorité.

Non-seulement le peuple ou l’assemblée qui le représente choisit les juges, mais ils ne s’imposent pour les choisir aucune gène. En général, il n’y a point de condi-