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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

portés vers la paix par leurs intérêts et leurs instincts, ils sont sans cesse attirés vers la guerre et les révolutions par leurs armées.

Les révolutions militaires, qui ne sont presque jamais à craindre dans les aristocraties, sont toujours à redouter chez les nations démocratiques. Ces périls doivent être rangés parmi les plus redoutables de tous ceux que renferme leur avenir ; il faut que l’attention des hommes d’état s’applique sans relâche à y trouver un remède.

Lorsqu’une nation se sent intérieurement travaillée par l’ambition inquiète de son armée, la première pensée qui se présente, c’est de donner à cette ambition incommode la guerre pour objet.

Je ne veux point médire de la guerre ; la guerre agrandit presque toujours la pensée d’un peuple et lui élève le cœur. Il y a des cas où seule elle peut arrêter le développement excessif de certains penchants que fait naturellement naître l’égalité, et où il faut la considérer comme nécessaire à certaines maladies invétérées auxquelles les sociétés démocratiques sont sujettes.

La guerre a de grands avantages ; mais il ne faut pas se flatter qu’elle diminue le péril qui vient d’être signalé. Elle ne fait que le suspendre, et il revient plus terrible après elle ; car l’armée souffre bien plus impatiemment la paix après avoir