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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

Mais, si l’égalité des conditions donne à tous les citoyens quelques ressources, elle empêche qu’aucun d’entre eux n’ait des ressources très-étendues ; ce qui renferme nécessairement les désirs dans des limites assez étroites. Chez les peuples démocratiques, l’ambition est donc ardente et continue, mais elle ne saurait viser habituellement très-haut ; et la vie s’y passe d’ordinaire à convoiter avec ardeur de petits objets qu’on voit à sa portée.

Ce qui détourne surtout les hommes des démocraties de la grande ambition, ce n’est pas la petitesse de leur fortune, mais le violent effort qu’ils font tous les jours pour l’améliorer. Ils contraignent leur âme à employer toutes ses forces pour faire des choses médiocres : ce qui ne peut manquer de borner bientôt sa vue et de circonscrire son pouvoir. Ils pourraient être beaucoup plus pauvres et rester plus grands.

Le petit nombre d’opulents citoyens qui se trouvent au sein d’une démocratie ne fait point exception à cette règle. Un homme qui s’élève par degrés vers la richesse et le pouvoir contracte, dans ce long travail, des habitudes de prudence et de retenue dont il ne peut ensuite se départir. On n’élargit pas graduellement son âme comme sa maison.

Une remarque analogue est applicable aux fils de ce même homme. Ceux-ci sont nés, il est vrai,