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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

ne réprime que mollement l’amour des richesses, qui sert à la grandeur industrielle et à la prospérité de la nation ; et elle condamne particulièrement les mauvaises mœurs, qui distraient l’esprit humain de la recherche du bien-être et troublent l’ordre intérieur de la famille, si nécessaire au succès des affaires. Pour être estimés de leurs semblables, les Américains sont donc contraints de se plier à des habitudes régulières. C’est en ce sens qu’on peut dire qu’ils mettent leur honneur à être chastes.

L’honneur américain s’accorde avec l’ancien honneur de l’Europe sur un point. Il met le courage à la tête des vertus, et en fait pour l’homme la plus grande des nécessités morales ; mais il n’envisage pas le courage sous le même aspect.

Aux États-Unis, la valeur guerrière est peu prisée, le courage qu’on connaît le mieux et qu’on estime le plus est celui qui fait braver les fureurs de l’océan pour arriver plus tôt au port, supporter sans se plaindre les misères du désert, et la solitude, plus cruelle que toutes les misères ; le courage qui rend presque insensible au renversement subit d’une fortune péniblement acquise, et suggère aussitôt de nouveaux efforts pour en construire une nouvelle. Le courage de cette espèce est principalement nécessaire au maintien et à la prospérité de l’association américaine, et il est particulièrement honoré et glorifié par elle. On