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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

féodal, parce que l’honneur féodal a des traits plus marqués et mieux qu’aucun autre ; j’aurais pu prendre mon exemple ailleurs, je serais arrivé au même but par un autre chemin.

Quoique nous connaissions moins bien les Romains que nos ancêtres, nous savons cependant qu’il existait chez eux, en fait de gloire et de déshonneur, des opinions particulières qui ne découlaient pas seulement des notions générales du bien et du mal. Beaucoup d’actions humaines y étaient considérées sous un jour différent, suivant qu’il s’agisait d’un citoyen ou d’un étranger, d’un homme libre ou d’un esclave ; on y glorifiait certains vices, on y avait élevé certaines vertus par-delà toutes les autres.

« Or, était en ce temps-là, dit Plutarque dans la vie de Coriolan, la prouesse honorée et prisée à Rome par-dessus toutes les autres vertus. De quoi fait foi de ce que l’on la nommait virtus ; du nom même de la vertu, en attribuant le nom du commun genre à une espèce particulière. Tellement que vertu en latin était autant à dire comme vaillance. » Qui ne reconnaît là le besoin particulier de cette association singulière qui s’était formée pour la conquête du monde ?

Chaque nation prêtera à des observations analogues ; car, ainsi que je l’ai dit plus haut, toutes les fois que-les hommes se rassemblent en société