Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 4.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
144
INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Si je suivais l’honneur féodal dans le champ de la politique, je n’aurais pas plus de peine à y expliquer ses démarches.

L’état social et les institutions politiques du moyen-âge étaient tels que le pouvoir national n’y gouvernait jamais directement les citoyens. Celui-ci n’existait pour ainsi dire pas à leurs yeux ; chacun ne connaissait qu’un certain homme auquel il était obligé d’obéir. C’est par celui-là que, sans le savoir, on tenait à tous les autres. Dans les sociétés féodales, tout l’ordre public roulait donc sur le sentiment de fidélité à la personne même du seigneur. Cela détruit, on tombait aussitôt dans l’anarchie.

La fidélité au chef politique était d’ailleurs un sentiment dont tous les membres de l’aristocratie apercevaient chaque jour le prix, car chacun d’eux était à la fois seigneur et vassal, et avait à commander aussi bien qu’à obéir.

Rester fidèle à son seigneur, se sacrifier pour lui au besoin, partager sa fortune bonne ou mauvaise, l’aider dans ses entreprises quelles qu’elles fussent, telles furent les premières prescriptions de l’honneur féodal en matière politique. La trahison du vassal fut condamnée par l’opinion, avec une rigueur extraordinaire. On créa un nom particulièrement infamant pour elle, on l’appela félonie.