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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

mais fixes ; mille hasards les font sans cesse changer de place, et il règne presque toujours je ne sais quoi d’imprévu et, pour ainsi dire, d’improvisé dans leur vie. Aussi sont-ils souvent forcés de faire ce qu’ils ont mal appris, de parler de ce qu’ils ne comprennent guère, et de se livrer à des travaux auxquels un long apprentissage ne les a pas prépares.

Dans les aristocraties, chacun n’a qu’un seul but qu’il poursuit sans cesse ; mais, chez les peuples démocratiques, l’existence de l’homme est plus compliquée ; il est rare que le même esprit n’y embrasse point plusieurs objets à la fois, et souvent des objets fort étrangers les uns aux autres. Comme il ne peut les bien connaître tous, il se satisfait aisément de notions imparfaites.

Quand l’habitant des démocraties n’est pas presse par ses besoins, il l’est du moins par ses désirs ; car, parmi tous les biens qui l’environnent, il n’en voit aucun qui soit entièrement hors de sa portée. Il fait donc toutes choses à la hâte, se contente sans cesse d’à peu près, et ne s’arrête jamais qu’un moment pour considérer chacun de ses actes.

Sa curiosité est tout à la fois insatiable et satisfaite à peu de frais ; car il tient à savoir vite beaucoup, plutôt qu’à bien savoir.