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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

sont trop mobiles pour qu’un certain nombre d’entre eux parvienne à établir un code de savoir-vivre et puissent tenir la main à ce qu’on le suive. Chacun y agit donc à peu près à sa guise, et il y règne toujours une certaine incohérence dans les manières, parce qu’elles se conforment aux sentiments et aux idées individuelles de chacun, plutôt qu’à un modèle idéal donné d’avance à l’imitation de tous.

Toutefois, ceci est bien plus sensible au moment où l’aristocratie vient de tomber que lorsqu’elle est depuis longtemps détruite.

Les institutions politiques nouvelles et les nouvelles mœurs réunissent alors dans les mêmes lieux et forcent souvent de vivre en commun des hommes que l’éducation et les habitudes rendent encore prodigieusement dissemblables ; ce qui fait ressortir à tout moment de grandes bigarrures. On se souvient encore qu’il a existé un code précis de la politesse ; mais on ne sait déjà plus ni ce qu’il contient ni où il se trouve. Les hommes ont perdu la loi commune des manières, et ils n’ont pas encore pris le parti de s’en passer ; mais chacun s’efforce de former, avec les débris des anciens usages, une certaine règle arbitraire et changeante ; de telle sorte que les manières n’ont ni la régularité ni la grandeur qu’elles font souvent voir chez les peuples aristocratiques, ni le