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SUR LE MOUVEMENT INTELLECTUEL.

érudits et les lettrés ont toujours eu le plus de peine à faire prévaloir leur goût sur celui du peuple, et à se défendre d’être entraînés eux-mêmes par le sien. Le parterre y a souvent fait la loi aux loges.

S’il est difficile à une aristocratie de ne point laisser envahir le théâtre par le peuple, on comprendra aisément que le peuple doit y régner en maître, lorsque les principes démocratiques ayant pénétré dans les lois et dans les mœurs, les rangs se confondent et les intelligences se rapprochent comme les fortunes, et que la classe supérieure perd, avec ses richesses héréditaires, son pouvoir, ses traditions et ses loisirs.

Les goûts et les instincts naturels aux peuples démocratiques, en fait de littérature, se manifesteront donc d’abord au théâtre, et on peut prévoir qu’ils s’y introduiront avec violence. Dans les écrits, les lois littéraires de l’aristocratie se modifieront peu à peu, d’une manière graduelle et pour ainsi dire légale. Au théâtre, elles seront renversées par des émeutes.

Le théâtre met en relief la plupart des qualités et presque tous les vices inhérents aux littératures démocratiques.

Les peuples démocratiques n’ont qu’une estime fort médiocre pour l’érudition, et ils ne se soucient guère de ce qui se passait à Rome et à