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SUR LE MOUVEMENT INTELLECTUEL.

langue vulgaire. Plus les divisions sont profondes et les barrières infranchissables, plus il doit en être ainsi. Je parierais volontiers que parmi les castes de l’Inde le langage varie prodigieusement, et qu’il se trouve presque autant de différence entre la langue d’un paria et celle d’un brame qu’entre leurs habits.

Quand, au contraire, les hommes, n’étant plus tenus à leur place, se voient et se communiquent sans cesse, que les castes sont détruites et que les classes se renouvellement et se confondent, tous les mots de la langue se mêlent. Ceux qui ne peuvent pas convenir au plus grand nombre périssent ; le reste forme une masse commune où chacun prend à peu près au hasard. Presque tous les différents dialectes qui divisaient les idiômes de l’Europe tendent visiblement à s’effacer ; il n’y a pas de patois dans le nouveau monde, et ils disparaissent chaque jour de l’ancien.

Cette révolution dans l’état social influe aussi bien sur le style que sur la langue.

Non seulement tout le monde se sert des mêmes mots, mais on s’habitue à employer indifféremment chacun d’eux. Les règles que le style avait créées sont presque détruites. On ne rencontre guère d’expressions qui, par leur nature, semblent vulgaires, et d’autres qui paraissent distinguées. Des individus sortis de rangs divers ayant amené