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SUR LE MOUVEMENT INTELLECTUEL.

où l’on étudie le moins, et où l’on suit le mieux les préceptes de Descartes. Cela ne doit pas surprendre.

Les Américains ne lisent point les ouvrages de Descartes, parce que leur état social les détourne des études spéculatives, et ils suivent ses maximes parce que ce même état social dispose naturellement leur esprit à les adopter.

Au milieu du mouvement continuel qui règne au sein d’une société démocratique, le lien qui unit les générations entre elles se relâche ou se brise ; chacun y perd aisément la trace des idées de ses aïeux, ou ne s’en inquiète guère.

Les hommes qui vivent dans une semblable société ne sauraient non plus puiser leurs croyances dans les opinions de la classe à laquelle ils appartiennent, car il n’y a, pour ainsi dire, plus de classes, et celles qui existent encore sont composées d’éléments si mouvants, que le corps ne saurait jamais y exercer un véritable pouvoir sur ses membres.

Quant à l’action que peut avoir l’intelligence d’un homme sur celle d’un autre, elle est nécessairement fort restreinte dans un pays où les citoyens, devenus à peu près pareils, se voient tous de fort près, et, n’apercevant dans aucun d’entre eux les signes d’une grandeur et d’une supériorité incontestables, sont sans cesse rame-