Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/153

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

vertus et leurs lumières rendent seuls, parmi tous les autres, dignes de rester libres.

Comment les flatteurs de Louis XIV pouvaient-ils mieux faire ?

Pour moi, je crois que dans tous les gouvernements, quels qu’ils soient, la bassesse s’attachera à la force, et la flatterie au pouvoir. Et je ne connais qu’un moyen d’empêcher que les hommes ne se dégradent : c’est de n’accorder à personne, avec la toute-puissance, le souverain pouvoir de les avilir.

QUE LE PLUS GRAND DANGER DES RÉPUBLIQUES AMÉRICAINES

VIENT DE L’OMNIPOTENCE DE LA MAJORITÉ.

C’est par le mauvais emploi de leur puissance, et non par impuissance, que les républiques démocratiques sont exposées à périr. — Le gouvernement des républiques américaines plus centralisé et plus énergique que celui des monarchies de l’Europe. — Danger qui en résulte. — Opinion de Madison et de Jefferson à ce sujet.

Les gouvernements périssent ordinairement par impuissance ou par tyrannie. Dans le premier cas, le pouvoir leur échappe ; on le leur arrache dans l’autre.

Bien des gens, en voyant tomber les États démocratiques en anarchie, ont pensé que le gouvernement, dans ces États, était naturellement faible et impuissant. La vérité est que quand une fois la guerre y est allumée entre les partis, le gouvernement perd son action sur la société. Mais je ne pense pas que la nature d’un pouvoir démocratique soit de manquer de force et de ressources ; je crois, au contraire, que c’est presque toujours l’abus de ses forces et le mau-