« Viens à moi, mon brave chéri, viens ; je te chanterai de douces chansons pendant la nuit, je te soignerai comme une fleur, je te défendrai par mes exorcismes du mauvais œil, des destinées cruelles et de la morsure des serpents.
« Hélas ! depuis ce jour d’été où, égaré dans le bois, tu chantais la Doïna d’amour, mon pauvre cœur, plein d’amertume, est en guerre avec mon âme.
« Oh ! viens livrer à mes caresses ta figure radieuse, ainsi que tes beaux yeux à mes baisers ; je jure en revanche de filer pour toi des habits de soie et une écharpe impériale.
« Le Vircolici[1] s’étend comme un nuage sur le disque de la lune… Accours, ô mon bien-aimé, avec la rapidité du vol de l’oiseau, car je sens ma vie s’achever comme la laine de ma quenouille. »
La vieille Kloantza gémit et pleure, elle a fini de filer, hélas ! et son bien-aimé n’est pas venu. Elle tord ses mains dans un accès de désespoir affreux, puis se lève, se tourne du côté de l’orient et dit à haute voix :
« Sors du chaos ténébreux, ô toi l’ennemi du ciel, toi qui changes l’année en siècle pour les âmes qui souffrent, esprit du mal, Satan !
« Toi qui, de ton aile, éteint les lampes funéraires des tombeaux où reposent les reliques des saints, quand tu fais trois fois le tour de la terre en un clin d’œil.
« Viens comme aux heures de désolation quand, la nuit, tu prends ton vol en blasphémant, viens accom-
- ↑ Vircolici, c’est l’éclipse. La superstition populaire prétend qu’un dragon, du nom de Vircolici, dévore la lune.